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universel, — tout ce manège intérieur n’affecte en rien la proportion de sa puissance avec celle de ses voisins, et les plus jaloux défenseurs de l’équilibre n’en peuvent prendre aucun ombrage. L’équilibre européen sous ce rapport n’apporte aucune entrave à l’exercice le plus étendu de la souveraineté populaire, tant que cet usage, immodéré ou non, se renferme dans la sphère du gouvernement intérieur, tant que l’onde, quels que soient ses orages, se contient dans la frontière d’un état comme dans les rives d’un fleuve ou dans les digues qui l’enserrent.

Il en est autrement, j’en conviens, si elle déborde, et les conséquences sont différentes, si, comme c’est en ce moment le cas de plusieurs contrées d’Europe, un ou plusieurs états, jusque-là séparés, témoignent à un certain jour, pour suivre des affinités de race, de langue ou de mœurs, le désir de se réunir en un seul. Il est clair que l’unité qui sort de cette jonction dispose d’une force plus grande que celle qui appartenait aux diverses parties et supérieures même à la somme. Les avantages incontestables de l’unité, pour la direction de la politique, la conduite des années, la régie des finances, font de ce rapprochement plus qu’une addition : c’est une multiplication de puissance l’une par l’autre. Tout confluent accroît, par la masse du flot, l’impétuosité du courant. Pour sortir des abstractions et prononcer le nom qui est sur toutes les lèvres, il est clair que l’Allemagne complètement unie serait dix ou cent fois plus forte que ne l’étaient tout ensemble les diverses royautés qui se partageaient la confédération germanique. Il faut donc bien convenir que de telles annexions altèrent la force proportionnelle des états, et que par rapport à la France comme à la Russie l’Allemagne est plus redoutable aujourd’hui qu’hier, et le sera peut-être demain plus qu’aujourd’hui. Si donc de telles agglomérations d’états sont à tout instant possibles et permises, quelle qu’en soit l’étendue, uniquement au titre du vœu réel ou supposé des populations et sans que du dehors aucun intérêt contraire puisse y faire obstacle, non-seulement elles détruisent tout équilibre établi, mais elles rendent tout équilibre à venir tellement instable que la recherche même en devient inutile et illusoire. Je puis chaque soir m’endormir à côté d’un nain et m’éveiller le matin à côté d’un géant improvisé. Sur ce point par conséquent il y a une contradiction indubitable entre les exigences de l’équilibre et l’exercice illimité de la souveraineté populaire. S’il est essentiel à cette souveraineté que tous les états puissent à tout moment s’annexer, sans prévenir, pour former un tout colossal, ne parlons plus d’équilibre. Il faut chercher ailleurs que dans la balance des forces les garanties de la justice internationale.

Je n’atténue pas, on le voit, la difficulté, mais j’ajoute tout de