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le goût de l’artiste, la patience de l’ouvrier, s’accusent immédiatement ; on ne peut s’empêcher de reconnaître une race forte, capable en se jouant de produire de véritables merveilles. Le Japonais n’est pas seulement imitateur, il invente, il perfectionne, il innove ; son intelligence est ouverte à tous les raffinemens et à toutes les ruses : la moquerie lui a fait fabriquer à d’autres époques la trompeuse sirène, charmante tête de singe nouveau-né sur un corps de poisson, ouvrage devant lequel ont pâli, le microscope à la main, tous les savans de la Hollande. La fraude en matière de commerce le conduisait dernièrement en prison pour avoir teint des œufs de vers à soie naturellement blancs. Il saurait à la rigueur lutter de rouerie avec nos maquignons les plus experts dans l’art de changer la couleur d’un cheval où de dissimuler une jambe couronnée sous une couche de peinture ; mais ses vices ne sont pas calculés comme ceux du Chinois : l’idée de l’association ne pourrait lui venir, ni la constance de travailler des mois entiers au percement d’un tunnel destiné à déboucher dans les caves d’une banque[1]. Ces choses-là peuvent se voir à Hong-kong sous le régime anglais, elles sont inconnues au Japon ; l’indigène n’y a pas de ces vastes et laborieuses conceptions. Les craintes du bourgeois ne vont pas au-delà d’une bague ou d’une bourse disparue dans une foule. La loi d’ailleurs est des plus sévères : la mort, si la valeur de l’objet volé dépasse une certaine somme, la mort, si le coupable est en état de récidive. Il y a là de quoi faire réfléchir les plus téméraires.

En ce qui concerne Yokohama, la loi a reçu des correctifs notables, probablement à cause des tentations que nous créons. Les vols domestiques se sont multipliés avec une rapidité prodigieuse, et dans ces dernières années ils commençaient à se compliquer de la circonstance aggravante de main armée. La police malheureusement n’a pas fait, sous ce rapport, preuve d’une perspicacité hors ligne ; elle prétend, il est vrai, que nous la gênons, que notre humanité est de trop, que le premier moyen d’arriver à la vérité réside dans une bonne application de la torture à tous ceux qui peuvent fournir quelques renseignemens. La torture, d’après les dessins indigènes, a des variétés aussi nombreuses qu’au moyen âge dans notre pays. Il y en a d’anodines qui ne laissent aucune trace après la souffrance, et d’autres qu’il faut suspendre pour qu’elles n’occasionnent pas la mort. Tous les échelons de ce code barbare, depuis la prison jusqu’à la mort, présentent des détails horribles. Un prisonnier n’est pas un homme livré à une administration pour subir, sous une surveillance sévère, la sentence inflexible des lois ; c’est un misérable jeté en proie à d’autres misérables qui se feront un

  1. Ce vol incroyable est historique et a eu lieu en 1865.