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perçait le mépris ; il nous représentait bien ce type de bravoure et d’insouciance que nous nous figurions chez les Orientaux. L’homme d’ailleurs mourait pour sa patrie ; il était martyr, il avait participé à la mort de deux étrangers. Jusqu’au dernier instant, il montra le même calme, laissant tomber de sa bouche quelques paroles dédaigneuses à la vue des Européens, mangeant de bon appétit à ses momens de halte et marchant d’un pas ferme dans la cour de sa prison vers l’exécuteur qui l’attendait. On voulait lui bander les yeux. « Je veux montrer à ces étrangers, dit-il, comment un Japonais sait mourir. » Il parla quelques instans, maudissant le jour où un patriote était mis à mort pour avoir exécuté les lois de son pays et prophétisant au Japon des malheurs sans nombre pour avoir souffert l’introduction des étrangers. L’exécuteur était un vieillard à face débonnaire, une de ces figures placides comme on en voit tant dans les bureaux de l’administration japonaise, il n’avait rien de l’apparence énergique ou sinistre d’un bourreau ; peut-être était-ce le premier venu, tout homme armé doit connaître le maniement de son sabre. Le patient s’était agenouillé de lui-même devant un trou fait en terre : « D’un seul coup ! » dit-il presque défiant au tranquille fonctionnaire qui attendait, et tandis que les spectateurs n’étaient pas encore remis d’un mouvement involontaire produit par la détonation du canon anglais qui venait de donner le signal, le vieillard s’efforçait déjà de relever le sabre, qui, manié vigoureusement à deux mains, s’était enfoncé en terre après avoir accompli l’acte de justice. A Yeddo, sur la place des exécutions, nous ne sommes pas admis d’aussi près à voir comment les choses se passent. Les gens de quelque importance d’ailleurs ont le privilège de ne pas être offerts en représentation au peuple, et pour les criminels de bas étage il n’y a guère de raison de jouer la fierté après une existence paisible, toute d’infériorité, mais qui inspire des regrets par cela même qu’elle n’a pas détruit d’illusions. Les têtes des suppliciés restent plusieurs jours placées aux portes de la ville, et exposées en guise d’avertissement aux regards de la population.

A partir de la place des exécutions, l’animation redouble, et c’est au milieu d’une foule composée d’élémens de toute nature, mais où les enfant dominent, que l’on traverse le faubourg marchand de Sinagawa pour atteindre le quartier affecté à la demeure des ministres européens. Placées loin du centre de la ville, loin des palais de la noblesse et du siège du gouvernement, les résidences diplomatiques se présentent au dehors sous des allures modestes. Ce sont d’anciens logemens de religieux, abandonnés provisoirement par leurs propriétaires après les traités de 1858, lorsque l’illusion générale faisait entrevoir la possibilité pour les ministres étrangers de