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aussi nombreux et aussi bien préparés qu’au Japon. Les charpentiers, couvreurs, maçons, sont embrigadés, et se rassemblent au premier signal sous les ordres de chefs connus. On voit dans leurs exercices journaliers les porteurs d’échelles dresser leur fardeau sans appui, au milieu de la rue, et tandis que les uns, au moyen de leurs crocs habilement passés dans les échelons inférieurs, maintiennent l’échelle droite et en équilibre, les plus découplés de la bande y grimpent et simulent les pyramides humaines les plus variées. La plupart des hommes ont le casque en cuir laqué avec les oreillères et les renforts en métal, comme dans les casques de guerre ; un trou placé sur le sommet de la tête permet la libre circulation de l’air ; un manteau court en laine de couleur foncée est cousu dans l’intérieur du casque et se boutonne hermétiquement sous les narines, ne laissant exposée à l’action de la fumée que la partie supérieure du visage. L’homme ainsi équipé résiste très longtemps à la suffocation. Pour arme, chaque travailleur a un long croc en bois cerclé de fer dont le pic aigu s’enfonce facilement dans les poutres, — instrument de démolition par son poids et son tranchant, de sauvetage par sa longueur, qui lui permet d’atteindre les objets au milieu des flammes. Se figure-t-on le spectacle d’un incendie dans une ville comme Yeddo ? La cloche a sonné l’alarme au sein des quartiers les plus éloignés ; au premier signal, tout le monde est en marche, on vient de trois et quatre lieues. La masse déjà grande des travailleurs disparaît sous le nombre toujours croissant des flâneurs et des amis. Qui n’a pas quelque parent, quelque connaissance au moins banale dans le quartier menacé ? Ce serait une impolitesse que de ne pas l’assister, de ne pas s’informer de ses besoins. Vite on s’est mis en route ; les femmes, les enfans quelquefois sont de la partie. Il est difficile de surmonter, en dépit de la circonstance, un certain sentiment de gaîté. Rien dans le spectacle qui vous entoure ne sent la tristesse ; on se croirait à une fête plutôt qu’à un désastre. Les officiers de la police, les chefs de quartiers, les gouverneurs de la ville sont accourus, qui à pied, qui à cheval, seuls ou avec des suites nombreuses ; on reconnaît au milieu de leurs hommes d’armes les nobles à leurs casques en métal blanc et or, dont les mille pointes brillent à la lueur de l’incendie, à leur petit manteau de drap rouge broché d’or. Les soldats de la suite ont passé à leur ceinture le bâtonnet en fer et le prennent en main dès qu’ils arrivent dans la foule ; ils frappent à droite et à gauche sans ménagement pour faire faire place à leur maître ; chacun s’écarte sans aucune récrimination : il semble que la brutalité soit de mise dans des circonstances aussi impérieuses.

Au milieu de la ville marchande, les magasins ont pris un peu d’élégance ; quelques boutiques d’étoffes sont remarquables par les