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européennes, il serait inutile et ridicule de chercher à persuader à ces curieux qu’en matière de décence ils doivent s’inspirer de notre exemple. La première fois que j’ai visité Yeddo, le commerce d’importation existait à peine ; on ne voyait dans les rues ni laines, ni draps européens, mais les marchands du Nipon-Hashi étaient déjà à leurs postes avec leurs stéréoscopes et leurs photographies : c’étaient les premiers produits qui eussent pénétré sur une grande échelle.

De l’autre côté du Nipon-Hashi, des rues tortueuses, habitées par tous les commerces et toutes les industries, nous conduisent par des contours multiples au grand faubourg d’Asaxa. A partir de ce faubourg, une simple rangée de maisons nous sépare, sur la droite, de la grande rivière. Quelques pas dans une rue transversale nous mettent en face d’un pont en bois de plus de 300 mètres de longueur. L’eau coule là abondante et jaunâtre. Des barques de toute nature, les unes chargées de marchandises, les autres de voyageurs, vont et viennent soit à la voile, soit à l’aviron, remontant péniblement le courant, ou se laissant emporter au gré de la marée. De petits bateaux coquets, au milieu desquels s’élève une mignonne maisonnette au toit incliné sur les deux bords, montrent par d’indiscrètes fenêtres quelque famille en promenade, des flâneurs, un couple d’amoureux descendant à la mer, ou remontant Vers les jardins d’Oodjé. Tout près de nous sont les magasins du taïcoun. Six larges saignées ont été faites à la rivière, et le long des bassins artificiels qu’elles ont creusés se sont élevées de grandes constructions en pierres dans lesquelles s’entassent les richesses du souverain. Au Japon, la fortune d’un prince se compte par la quantité de riz qu’il possède ou qu’il pourrait acheter ; la livre de riz est l’unité de monnaie. Un prince est riche de tant de kokous de riz ; sachant le prix variable d’un kokou, on peut calculer l’encaisse financière. Les chiffres auxquels on arrive sont parfois énormes, il y a des rentiers de 30 et 40 millions de francs ; mais, défalcation faite de l’entretien des châteaux, de la solde et de la nourriture du personnel armé, on finit par reconnaître que bien des misères se cachent sous ces apparences dorées, que la plupart des princes, criblés de dettes, ne vivent que du crédit qu’ils trouvent chez les grands marchands.

On ne peut mieux peindre l’impression que produisent les abords d’Asaxa qu’en les comparant à ceux d’une de nos foires les plus achalandées. Une avenue dallée qui s’ouvre derrière un porche remarquable par les dimensions exagérées d’une lanterne qui le décore conduit au temple entre deux rangées de petites boutiques où s’étalent tous les objets relatifs au culte, chapelets, fleurs artificielles, etc. La foule est toujours énorme dans cet endroit. Les