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commandant qu’elle était irrévocablement résolue à garder la même attitude tant qu’il ne se déclarerait point autorisé à retirer une demande qu’elle refusait de discuter par respect pour le roi, dont la religion avait été surprise. Le tiers et même l’église n’étaient guère moins ébranlés que le second ordre. Après de longues négociations, le tiers proposa comme mesure de conciliation d’ajouter aux contributions, dans la forme qu’il conviendrait aux états de déterminer, une somme égale au produit des deux sous pour livre, mais en supprimant une dénomination repoussée par la conscience publique. L’église accepta l’avis du tiers, et le duc d’Aiguillon, profondément alarmé des conséquences du conflit qui s’annonçait, y donna une sorte d’adhésion tacite, non sans crainte de se voir désavoué par le ministère, desservi près du roi par le duc de Choiseul, et, chose plus grave, blâmé par Mme de Pompadour.

L’assemblée était dans une extrême fermentation. Des imprimés distribués par des mains inconnues l’exhortaient à défendre jusqu’au bout les intérêts et les droits du peuple en confondant le courtisan qui prétendait se faire dans la libre Bretagne l’instrument d’une odieuse tyrannie. Plusieurs de ces pamphlets clandestins furent remis par M. d’Aiguillon à M. de La Chalotais, procureur-général au parlement et en cette qualité l’un des commissaires du roi aux états, afin que ce magistrat en fit rechercher et punir les auteurs. Les rapports du commandant avec le procureur-général avaient été longtemps empreints de confiance ; mais une certaine froideur avait déjà succédé à la cordialité des premières relations[1]. En 1762, l’immense succès du Compte-rendu des constitutions des jésuites avait étendu tout à coup devant M. de La Chalotais l’horizon de son ambition et de ses espérances. S’il fallait s’en rapporter au duc d’Aiguillon, le procureur-général au parlement de Bretagne, devenu l’auxiliaire le plus puissant dans la guerre engagée par le duc de Choiseul et Mme de Pompadour contre la société de Jésus, aurait essayé de pousser sa fortune en liant des rapports avec le premier ministre, ce qui l’aurait conduit à desservir secrètement M. d’Aiguillon, objet des suspicions constantes de l’homme d’état auquel il devait un jour succéder. Quelle qu’ait été d’ailleurs l’origine de ces inimitiés, dont j’aurai bientôt à dérouler les suites, il faut bien reconnaître que le procureur-général fit dans cette circonstance des efforts ou peu sincères ou malheureux auprès de sa compagnie, car elle refusa de poursuivre, plusieurs magistrats allant jusqu’à déclarer qu’ils seraient fiers d’avoir composé l’écrit qu’on leur demandait de condamner. L’attitude de

  1. Journal du duc d’Aiguillon, t. III, p. 36 et suiv. — Voyez aussi Mémoires de Linguet pour le duc d’Aiguillon, in-4o ; Paris, 1770.