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d’embellissement était une imputation très mal fondée, car, lorsqu’elle fut approfondie par ses ennemis, on fut conduit à reconnaître que le commandant avait au contraire, autant qu’il l’avait pu, résisté à tous les entraînemens de cette nature. Restait donc le seul article des grandes routes, et sur ce point la postérité a rendu à M. d’Aiguillon l’éclatante justice que lui refusèrent les passions de ses contemporains.

Lorsque le jeune commandant était arrivé en Bretagne avec le désir d’y accomplir de grandes choses, son attention dut se porter tout d’abord sur l’état de la viabilité. Nous l’avons déjà dit, une seule route carrossable traversait alors la péninsule, et cette route, parcourue par tous les convois de la marine et du commerce, auxquels le blocus des côtes avait interdit la voie de mer, était devenue à peu près impraticable. Aucun autre chemin régulièrement entretenu ne reliait entre elles les villes bretonnes ; les produits de l’agriculture étaient consommés sur place, tant le transport en était difficile, et se rendre à Rennes ou à Nantes du fond de la Cornouailles et du Léon était une véritable entreprise. Le duc d’Aiguillon arrêta dès 1754 un vaste plan d’après lequel un réseau de 800 lieues de routes nouvelles fut simultanément ouvert pour être exécuté en dix années. Ce plan, soumis avec le règlement général des travaux aux états de 1756, avait reçu leur plus complète approbation. Les fonds modiques faits jusqu’alors pour ce service furent quadruplés, un corps d’ingénieurs fut constitué sous la surveillance et la direction de la commission intermédiaire, dont les membres demeurèrent les juges suprêmes de toutes les contestations survenues entre l’administration et les particuliers ; enfin les obligations des corvéables furent minutieusement déterminées d’après la cote de chacun d’eux au rôle de la capitation, et cette charge trouva une prompte compensation dans la plus-value de tous les produits agricoles. La corvée, générale dans tout le royaume, était alors universellement acceptée comme nécessaire ; elle ne blessait l’opinion qu’autant qu’elle était ou exagérée dans ses exigences ou inégalement répartie.

Cette grande œuvre touchait à sa fin lorsque le cri venu du parlement, en substituant une question de parti à une question d’intérêt, changea le cours de l’opinion publique, jusqu’alors favorable. Mis en demeure de s’expliquer, le duc d’Aiguillon put établir qu’il avait toujours agi avec l’assentiment des états ou de leurs délégués ; il se trouva même en mesure de démontrer que les actes émanés de lui-même ou de l’intendant avaient été constamment inspirés par la pensée de réduire la charge imposée par les règlemens aux corvéables, soit en réduisant l’espace à parcourir pour se