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put être sûr d’après l’attitude du ministère que le roi ne céderait point, il était devenu impossible au parlement de céder de son côté, tant il avait accepté d’ovations populaires, et tant la pression du dehors était désormais irrésistible. Cette situation dura six semaines, le parlement ne se dissimulant pas les conséquences périlleuses d’une démission, mais trop engagé par l’éclat de ses démarches pour décliner aucune occasion nouvelle de se commettre avec la cour. Quoiqu’il n’exerçât plus ses fonctions qu’à titre provisoire, il adressait au roi les plaintes les plus véhémentes à propos de sévices exercés contre le parlement de Pau, dont les membres venaient aussi d’être victimes « de l’autorité despotique, et gémissaient sous l’oppression la plus accablante ; » il réclamait pour ces magistrats comme pour les membres de toutes les classes du parlement « la justice et la liberté qu’on leur refusait sous le règne du plus juste et du plus chéri des monarques[1]. » Enfin » arriva le jour fixé par une délibération antérieure pour mettre fin à la situation incertaine qui maintenait tant d’intérêts en suspens. La délibération fut longue et solennelle. Des hommes éminens par leur grande position comme par leur savoir se prononcèrent contre les démissions ; en tête de ceux-ci figuraient les présidens de Montbourcher, de Châteaugiron et de Robien. Aucun de ces magistrats ne s’arrêta même un moment aux considérations domestiques que pouvait soulever l’abandon de charges représentant une somme fort importante, mais tous firent remarquer quel coup terrible une pareille résolution porterait à l’autorité du roi dans l’obéissance duquel ils avaient juré de vivre et de mourir, ajoutant toutefois que, gentilshommes avant tout, ils n’entendaient pas se séparer de la fortune de leurs collègues, et que, si l’avis de se démettre réunissait la majorité, quelque regret qu’ils en éprouvassent, ils signeraient la délibération commune. Cet avis l’emporta en effet d’un petit nombre de voix, et sur quatre-vingt-quatre magistrats présens, dont les deux tiers avaient exprimé des doutes ou des scrupules, douze seulement se refusèrent à y apposer leur nom[2].

La ville de Rennes fut dans l’ivresse, bien qu’un tel acte préparât sa ruine. Les procureurs, les avocats et jusqu’aux huissiers prêtèrent le serment de ne faire aucun acte de leur ministère avant que l’universalité des magistrats ne fût rappelée aux sièges qu’ils

  1. Registres du parlement, remontrances du 4 mai 1765.
  2. L’acte de démission, très longuement motivé, figure aux registres du parlement sous la date du 20 mai 1765.