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L’expérience a prouvé que ce fier esprit avait raison ; la législation de septembre, qui paraîtrait pourtant libérale, si on la comparait au régime qu’on se dispose à donner à la presse, a eu des apparences de défiance et de sévérité qui n’ont point porté bonheur à la monarchie de 1830.

La question, reste dans les termes où M. Royer-Collard l’avait placée : il faut rendre honneur au pays. Ce n’est point ce que fait le projet de loi. Chez nous, on ne peut se le dissimuler, les adversaires de la liberté de la presse cèdent à des sentimens d’une nature peu noble. Au fond de cette hostilité, il y a une sorte d’envie contre la concurrence que le talent, appuyé sur sa seule force, peut soutenir contre les gens médiocres, qui n’ont de chance de satisfaire leur ambition que par la faveur d’un pouvoir non contrôlé ; il y a aussi une paresse intellectuelle désavouée par l’activité nécessaire des sociétés modernes ; il y a enfin un réel défaut de courage. On est frappé des argumens par lesquels les adversaires de la liberté de la presse défendent le régime des restrictions sévères : par la plus fausse des erreurs, ils attribuent à la presse politique le penchant à la diffamation des personnes. Toute l’histoire des temps que les générations contemporaines ont vus dément cette inique accusation. La calomnie, la diffamation des personnes, la corruption, débordent au contraire dans les temps où, la presse politique étant comprimée, la littérature perd le frein honorable et efficace par lequel la liberté politique en maintient la dignité. Quand vous enchaînez le journal, vous donnez licence aux nouvelles à la main. Vous ne voulez pas laisser discuter avec une gravité virile vos actes politiques, vous appelez sur la vie privée toutes les attaques secrètes, toutes les escarmouches d’une littérature qui n’est plus liée au respect d’elle-même par la dignité que donne aux écrivains la responsabilité de la discussion des intérêts publics. Le temps où a pullulé le dégoûtant fléau des pamphlets a été la dernière période de l’ancien régime. La liberté faisant défaut, il n’y avait plus que la fièvre des scandales. Ces mauvaises mœurs littéraires de la fin de la société du XVIIIe siècle ont été jusqu’à léguer leurs souillures à une portion de la presse révolutionnaire, à celle qui a déshonoré, ensanglanté et perdu la cause de la liberté. Il faut reconnaître encore à ce malheur de notre révolution l’influence persistante du vieux despotisme qui avait empêché l’éducation morale de la France. Les moralistes de notre époque n’observent-ils point que la durée trop longue de la compression de la presse politique tend à nous faire glisser sur une pente semblable ? Tant que, sous la restauration et la monarchie de juillet, la presse a joué un rôle politique élevé, elle a protégé sévèrement son honneur, elle a su faire sa police elle-même, elle a repoussé les élémens qui pouvaient la corrompre, et il faut convenir que nos plus énergiques chiens de garde étaient alors les organes de l’opposition avancée. Qu’est-ce encore que cette inspiration malheureuse qui voudrait épargner aux citoyens le courage de se défendre eux-mêmes devant la justice indépendante contre des