Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/796

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Away, away, my steed and I,
Upon the pinions of the wind,
All human dwellings left behind.

L’auteur attaque la passion parvenue à cette heure de crise qui ne souffre plus aucun détour, et son analyse pénétrante la poursuit sans nous laisser respirer une minute, sans éluder les difficultés, allant droit au but et ne le dépassant point. A mon sens, elle ne fléchit qu’une seule fois, et, si cette déviation est grave en ce que les suites s’en font sentir dans toute la pièce, l’auteur du moins n’essaie pas d’y échapper ou de les pallier par un replâtrage maladroit, il en prend son parti bravement et serre dans tout le reste la vérité de si près qu’à peine s’aperçoit-on qu’il ait failli. Cette résolution lui a porté bonheur et lui a fait parler une langue franche comme sa pensée, à la fois facile et brillante, pleine de vers bien frappés, dont plus d’un sans doute entrera bientôt dans la circulation. On n’en regrette que plus vivement l’excès de cette facilité même que l’auteur ne surveille pas avec un soin assez sévère, et qui dépare encore, en laissant passer des vers d’une élégance et d’une correction douteuses, un style où l’on rencontre de si heureux échos de la meilleure langue théâtrale. La donnée de la pièce est puisée dans ce que l’expérience de la vie a de plus ordinaire. Paul Forestier est épris pour une femme mariée, Léa de Clers, mais légalement séparée d’un mari dont elle n’a pas pu supporter les brutalités, d’une de ces passions redoutables lorsqu’elles s’emparent d’une nature ardente, délicate et sérieuse, car elles la dominent bientôt tout entière. Paul est peintre, mais on ne peut servir deux maîtres à la fois ; l’artiste languit et se cherche encore dans l’amant, et comme l’âge approche pour lui où le talent se noue quand il doit arriver à maturité, l’issue qui doit décider de son avenir ne peut être retardée longtemps. Le péril est réel, car son amour, quoique partagé, n’en est pas moins orageux. Léa sans doute est digne de lui. Généreuse et fière, elle n’a qu’un seul amour à se reprocher, et cette faute même trouve dans le précoce isolement auquel la fatalité l’a condamnée, dans la liberté relative d’une situation qui l’affranchit en une certaine mesure des devoirs légaux, une atténuation, sinon une excuse. Ils portent l’un et l’autre dans la passion qui les lie pour toujours la noblesse et la loyauté de leur caractère ; il croit en elle comme elle croit en lui. Ils seraient heureux sans l’obstacle indestructible qui leur interdit à jamais peut-être l’espérance de pouvoir mettre leur bonheur au grand jour. Ils subissent en attendant la destinée des furtives amours, l’inquiétude et la crainte. Depuis deux fois vingt-quatre heures qu’à la suite d’une querelle insignifiante Léa n’a point paru, Paul souffre cruellement.

Tel est le point de départ, qui n’a certainement rien de rare ni d’exceptionnel. C’est une de ces brouilles qui troublent à peine un ménage d’époux, mais qui sont promptes à s’aggraver entre amans, parce que ces liaisons, ayant pour seul gage de durée l’intensité de la passion qui