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le fond de tout théisme et de toute religion; mais ne sortons pas de la théorie des idées de Platon, et reprenons l’idée du cercle.

Pour presque toute la métaphysique moderne, même celle qui ne s’est jamais appelée l’idéologie, une idée n’est qu’un être de raison, c’est-à-dire rien du tout en soi, mais seulement un certain produit, ou pour mieux dire un certain état de la pensée, qui elle-même n’existe que dans l’être pensant qu’elle suppose et qui se manifeste à la raison par la conscience. Si une idée réunit tous ces caractères que nous lui avons assignés, si elle est la loi tout ensemble et des existences et des intelligences possibles (car le cercle peut encore moins être conçu qu’exister contrairement à son essence, il est compris tel qu’il est), il y a donc un rapport de conformité entre les propriétés du cercle réalisé, la notion du cercle dans notre esprit et l’idée éternelle du cercle. Nous sommes communément habitués à confondre ces deux dernières, ou à ne regarder la seconde des deux que comme une abstraction, une généralisation mentale de nos propres conceptions. C’est ce que Platon ne faisait pas. Non qu’il n’ait parfaitement décrit ces opérations intellectuelles qu’on nomme généralisations, paraissant quelquefois réduire aux abstractions qui en résultent ce qu’il honore du nom d’idées ; mais dans ceux de ses écrits où il pénètre plus avant en pleine métaphysique, les idées sont quelque chose de plus, car elles sont quelque chose en dehors des objets qui les représentent et de notre esprit qui les conçoit. Dans ces termes, recherchons pour notre compte ce qu’elles pourraient bien être.

Formes, types, exemplaires, elles sont, au moins dans la sphère des vérités nécessaires, des lois auxquelles tout être phénoménal qui les réalise est tenu de se conformer;, elles lui sont imposées comme son essence, elles sont son essence virtuelle. Cette sorte de nécessité semble supposer aux idées une supériorité, une souveraineté, une puissance, une force. Dans l’impossibilité jusqu’ici de leur concevoir un mode d’existence, quoique l’on soit obligé de leur reconnaître tant d’autres attributs et même de les regarder comme nécessaires, nous serait-il permis d’admettre une sorte d’existence que nous appellerions l’existence idéale, de supposer qu’il existe de toute éternité des vérités impératives, qui n’ont aucune condition de l’être tel qu’il nous est connu, qui existent à l’état d’idées, et qui dans cet état indéfinissable sont cependant quelque chose d’efficace et de puissant? Remarquez que dans la pratique la loi morale subsiste et agit sur nous d’une manière analogue. Pour l’homme qui ignore Dieu, ou qui sans l’ignorer n’y pense pas, ou ne rapporte pas le devoir à sa volonté, qu’est-ce en soi que cette loi morale, ce type de l’honnête, cette idée du