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existe; autrement elle ne retrouverait pas en elle et dans les choses des lois qu’elle n’a point faites. Or depuis Xenophane, depuis Anaxagore, l’existence de l’intelligence a été regardée comme le principe de l’ordre des choses, et toute la tradition de la philosophie grecque autorise la grande parole de Platon : « et comment nous persuader aisément que l’être absolument parfait demeure quelque chose d’immobile privé de l’auguste et sainte intelligence[1]? »

Nous voyons comment la théorie des idées peut comporter une interprétation qui la conserve en la simplifiant, et les termes mêmes dont Platon se sert autorisent cette interprétation. Si pour lui l’idée est l’unité qui domine la variété des phénomènes, ce que les idées sont aux objets. Dieu l’est aux idées, — Dieu, l’idée des idées, le dernier terme de la généralisation, l’unité suprême, le principe des principes, l’intelligence source des intelligences. Ainsi, comme Leibniz n’a pas craint de donner le nom de monade à Dieu même, nous pouvons avec Platon lui donner celui d’idée, et rien peut-être ne fonde plus sûrement l’existence de Dieu que cette dialectique qui la délivre naturellement de toute condition d’existence phénoménale, et qui rend aussi nécessaire que le soleil du monde sensible ce soleil du monde intelligible[2].

Cette manière d’entendre la théorie des idées a l’avantage de la dispenser de l’hypothèse de la réminiscence, qui suppose elle-même une existence antérieure, le dogme de la métempsycose, et probablement l’éternité des âmes. Sans doute nous ne pouvons concevoir comment s’allume dans l’organisme humain l’étincelle divine de l’intelligence, comment elle se transmet par la perpétuité de l’espèce. Les rapports de l’âme avec Dieu sont un mystère impénétrable et probablement à jamais; mais la réminiscence et toutes ses conséquences sont des choses énigmatiques en même temps qu’hypothétiques, tandis qu’il n’y a point d’hypothèse, qu’il y a nécessité rationnelle dans l’existence d’un rapport entre l’intelligence divine et la nôtre. Ce rapport une fois admis, il faut bien accepter comme un fait une certaine communauté malgré une immense inégalité entre l’une et l’autre. Il me semble donc que, grâce à cette interprétation du platonisme, il faudrait aller jusqu’à l’athéisme pour contester la théorie des idées.


CHARLES DE REMUSAT.

  1. Sophiste, XXXV.
  2. République, VII.