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maître, auprès duquel des fonctions domestiques lui donnaient journellement accès. On dit que le taïcoun eut des soupçons, qu’en buvant ses yeux rencontrèrent ceux du coupable, qu’il y lut le crime et jeta le vase à la tête de l’assassin. Celui-ci ne survécut pas à son forfait, il se suicida sur le cadavre de la victime. Quelques jours après, sentant qu’il ne pouvait braver l’opinion publique, désigné et montré partout au doigt comme le premier instigateur du meurtre, le prince d’Etzizen mettait lui-même fin à ses jours.

Le prince Yésada succédait à son père ; c’était un enfant faible d’esprit et chétif de santé, derrière lequel se tenait le véritable maître, le prince d’Ikammon, nommé régent et accepté d’un commun accord par tous les partis. Le régent, poursuivant la politique du règne précédent, se montra disposé à faire un accueil favorable aux étrangers ; il convainquit les faibles et les indécis, leur montra que la lutte à main armée était impossible, que pour éloigner les dangers d’une guerre extérieure il fallait céder, au moins provisoirement, quitte à rentrer plus tard dans ses droits absolus, lorsque le pays serait armé et que les chances d’une lutte seraient devenues égales. Cette politique plaisait aux Japonais, elle n’engageait rien, réservait l’avenir, et était empreinte de cette duplicité si chère au caractère oriental ; elle fut cependant attaquée par le prince de Mito, un des hommes qui, par leur naissance et leurs qualités, se trouvaient de droit à la tête de la noblesse. Il exprima nettement sa haine contre les étrangers et proposa de mourir les armes à la main dans un effort héroïque. Le régent triompha : Simoda et Hakodadé s’ouvrirent au commerce américain ; M. Harris, nommé consul-général, vint représenter dans le premier de ces ports la puissance des États-Unis. Il n’y avait dans ces concessions rien d’humiliant pour les Japonais. Hakodadé était perdu dans les neiges et les brouillards de l’île Yesso ; Simoda, entouré de montagnes, ne correspondait que difficilement avec la grande route de l’empire. Comme à Décima, les seuls indigènes en face desquels se trouvaient les étrangers étaient des marchands et des ouvriers. Les deux peuples pouvaient donc vivre en bon voisinage, entretenant des relations d’amitié et de commerce dans la mesure de ce que voudrait permettre le taïcoun.

Il ne paraît pas que de 1854 à 1858 les Américains aient profité de leur séjour à Simoda pour obtenir des renseignemens politiques importans. En 1858, ils en sont au même point. L’idée ne leur est pas venue d’aller réveiller le pape de Kioto, ils ne soupçonnent pas sa puissance, et quand les forces réunies de France et d’Angleterre ont tiré vengeance de l’affront reçu en Chine, lorsque M. Harris à Simoda sent que les puissances occidentales vont employer leur prépondérance maritime pour forcer l’entrée du Japon, lorsqu’il