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Les uns croient le taïcoun mort, d’autres le disent dépossédé ; il est pour le moins captif, sa volonté n’est plus libre. Aussi ses amis s’apprêtent-ils à le délivrer. Malheureusement les campagnes sont remplies de lonines aux gages des princes du parti hostile ; il y a des seigneurs bloqués dans leurs palais par ces maraudeurs. Les autorités de Yeddo, qui nous avouent ces faits et qui font, avec un air de mystère auquel personne ne se laisse tromper, tous les préparatifs d’une petite expédition militaire, ont la naïveté de vouloir nous emprunter des bâtimens de guerre pour porter leurs troupes à Kioto. La comédie se mêle au drame dans tous ces événemens.

Enfin l’indemnité est payée le 24 juin ; mais cet acte si longtemps attendu n’est pas plus tôt accompli que le ministre Ongasawara remet officiellement aux représentais des diverses puissances ce fameux décret d’expulsion, auquel le taïcoun a donné son consentement. Il semble d’ailleurs que ce soit l’accomplissement pur et simple d’une formalité, car notre refus d’obéissance suit immédiatement l’ordre d’expulsion, et aucune mesure coercitive ne paraît devoir être prise. Du reste, cette situation nous donne une grande liberté d’allures. Les traités étant déchirés par les Japonais eux-mêmes, nous pourrions à la rigueur nous considérer comme amenés dans ce pays par droit de conquête. Le gouvernement du taïcoun, pour ne pas paraître menacer en vain, nous prie instamment de ne pas exécuter son ordre d’expulsion, qui ne peut être valable, le taïcoun ne jouissant pas de son entière liberté lorsqu’il y a consenti. Un état de choses pareil ne peut cependant se prolonger. Chaque jour, on s’attend à un nouvel incident, goutte d’eau qui fera déborder le vase et amènera une rupture complète. Pendant que les regards se portent de Yokohama à Nagasaki, que l’on s’interroge sur les événemens qui se passent dans ces-deux villes, que l’on recueille avec anxiété les moindres indices de nature à éclaircir une situation aussi étrange, le premier coup de canon part, tiré par une main presque inconnue.

Lorsque l’on se rend par eau de Yokohama à Osaka, après deux jours de marche, l’on entre dans un bras de mer très large d’abord et qui, se resserrant à mesure, donne enfin naissance à la rade d’Osaka. Ce bras de mer disparaît ensuite au milieu d’une infinité d’îles, et se divise en une foule de petits canaux, longeant les uns l’île de Nipon, les autres l’île de Sikok, pour venir former tous ensemble, après une soixantaine de lieues, un goulet étroit et sinueux qui donne accès dans la mer de Chine. C’est le détroit de Simonoseki, du nom d’une grande cité commerciale, désormais historique, bâtie sur le côté nord du passage, dans la province de Nagato. Qui connaissait auparavant le prince de Nagato ? Au milieu