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ou changeur. Dans l’empire, une seule monnaie d’argent a cours, la monnaie japonaise, tandis que sur les trois places d’échange la piastre mexicaine apportée de Chine par les Européens, seule monnaie qu’aient encore voulu admettre les habitans du Céleste-Empire, sert à tous les besoins du commerce. Le rapport entre la piastre et la monnaie japonaise, l’itchibou, est variable malgré les prescriptions du traité de 1858 ; il change au gré du gouvernement. Celui-ci veut-il faire une grande opération commerciale, il suspend momentanément l’entrée de la soie et fait monter le cours de la monnaie indigène ; puis, laissant entrer tout d’un coup une certaine quantité de marchandises, lors d’un départ de paquebot par exemple, il impose comme toujours aux producteurs indigènes l’obligation de changer dans les banques de l’état la piastre qu’ils ont reçue de l’acheteur européen, et qui n’aurait pas cours au-delà d’un rayon de quelques lieues ; il réalise donc un bénéfice considérable, lorsque quelques jours après les choses ont repris leur cours normal. D’une pareille situation résulte chez les princes japonais une haine non dissimulée pour le taïcoun, chez celui-ci une politique cauteleuse dont nous connaissons les suites. Trop faible pour détruire la puissance des autres daïmios, trop intéressé à continuer avec nous dans de pareilles conditions des relations commerciales, il louvoie péniblement au milieu des orages politiques, trompant l’empereur, trompant les princes et nous trompant nous-mêmes, donnant d’une main, retirant de l’autre, faisant tout pour nous retenir, mais tremblant de nous voir entrer en rapports directs avec ses voisins.

Si ce n’est pas dans la noblesse que notre introduction au Japon doit rencontrer de grands obstacles, faut-il admettre qu’il y ait à notre égard dans le peuple et dans la bourgeoisie une antipathie telle que les deux races ne puissent vivre côte à côte ? Sur ce point-là, nous sommes sans inquiétude. Depuis trois ans, nous entretenons à Yokohama des garnisons nombreuses dont les rapports journaliers avec la population sont des plus pacifiques ; à Hakodadé et à Nagasaki, nos négocians et nos équipages vivent dans la meilleure intelligence avec les indigènes ; à Yeddo, les voyageurs européens n’ont jamais rencontré de la part de la foule qu’une sympathique curiosité ; dans les autres ports de l’empire, partout où nos marins se sont trouvés en face de la population japonaise, l’entente la plus parfaite n’a cessé d’exister ; à Simonoseki, après la soumission du prince de Nagato, les habitans, autorisés à rentrer dans la ville, sont venus avec empressement visiter les flottes alliées ; à Hiogo et à Osaka enfin, nous savons de source certaine combien l’on se réjouissait dans la classe marchande, lorsque l’on croyait à