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quatre mois en dissidence. Un parent de M. de La Chalotais parut dans l’assemblée tenant par la main un enfant de cinq ans, vêtu de deuil. « Voici, messieurs, s’écria-t-il, le petit-fils de l’homme auquel les ministres refusent des juges, espérant lui ravir l’honneur, faute d’avoir pu faire tomber sa tête ! Par ma voix, cet enfant vous demande protection : la lui refuserez-vous ? » Et toutes les mains de se tendre pour jurer que la cause des magistrats calomniés demeurerait la cause de la province jusqu’au jour d’une solennelle réparation.

Rien n’avançait cependant, et le moment était venu de mettre les fermes en adjudication et de rédiger les nouveaux rôles. Acculé dans une impasse par l’invincible inertie de la noblesse, le gouvernement prit tout à coup la résolution de se passer de son vote et de faire statuer provisoirement à la majorité de deux ordres contre un, « vu l’urgence et le cas manifeste de force majeure. » En exprimant leurs alarmes de cette résolution, l’église et le tiers ne tardèrent pas à en admettre la nécessité « pour cette fois et sans tirer à conséquence pour l’avenir. » A la suite de débats auxquels la majorité de la noblesse avait cessé de prendre part, les deux ordres prononcèrent l’enregistrement d’un ordre du roi qui portait en substance que, « sa majesté étant informée du refus obstiné de la noblesse de concourir à délibérer sur aucune des demandes soumises aux états dans le courant de février, considérant que cet ordre a constamment détruit la liberté de l’assemblée sous prétexte de la réclamer, et que les troubles et les tumultes journellement suscités par lui ont contraint l’église et le tiers à délibérer à part dans leurs chambres respectives, ordonne que les avis unanimement pris et déposés au greffe par les ordres de l’église et du tiers sur les demandes faites de sa part et sur les affaires de la province formeront délibération, et seront pris au nom des états et transcrits comme tels sur leurs registres[1]. » Le ministère faisait enregistrer dans la même forme un règlement général pour la tenue des assemblées et le mode des délibérations, de telle sorte que la liberté bretonne expira sous le coup des efforts tentés par ses généreux, mais imprudens défenseurs. Au dernier jour du mois de mai 1767 s’ouvrit, en se prolongeant fort avant dans la nuit, une séance où les haines accumulées durant cinq mois éclatèrent par les plus violentes objurgations. Deux membres des états, MM. de La Moussaye et Levicomte, venaient d’être enlevés par la maréchaussée pour avoir contesté le droit que s’était attribué le monarque. Cet acte arbitraire provoqua dans les rangs de la noblesse

  1. Registre des états de Rennes, 21 mai 1767.