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Au fond, le danger n’était pas grand : l’ennemi, peu nombreux, organisait sa résistance dans les rizières et les terrains inondés pendant la saison pluvieuse plus qu’il ne songeait à une attaque sérieuse pour nous jeter à la mer ; mais on comprend l’effroi que peuvent causer dans un pays plat des incendies qui s’allument chaque soir sur plusieurs points de l’horizon, sans parler des marches mystérieuses de soldats à travers la campagne et des coups de feu que l’on entend au loin. Nos troupes, rapidement concentrées sous les ordres du commandant d’infanterie de marine Alleyron, marchèrent au nord, appuyées dans les arroyos, les vaïcos et le Mékong par des canonnières, et entamèrent contre un ennemi insaisissable, dans la boue, sous un soleil de plomb ou des orages diluviens, une des campagnes les plus pénibles qui se soient faites en Cochinchine. Dans ce pays, où l’ennemi a vis-à-vis de nous une infériorité notoire, il y a peu de gloire à acquérir ; mais le soldat européen, énervé par le climat et les marches dans des marais sans fin, a besoin de toute son énergie, de tout son honneur militaire, pour ne pas s’arrêter en route, brisé par la fatigue ou la fièvre. Rien ne vient l’animer : les engagemens sont rares ; le paysage splendide se répète avec une monotonie qui fatigue, on croit toujours revenir au même point, tourner dans un même cercle. L’histoire de cette campagne, malgré l’importance des résultats, peut donc se résumer en quelques mots. La colonne Alleyron, opérant dans le nord de Tayning, rejeta l’ennemi sur les troupes du général Reboul, qui gardait le Cambodge. Pou-Combo, pris entre deux feux, serré de près par la flottille, laissa débander ses hommes et disparut. Au commencement de l’année 1867, tout paraissait rentré dans le calme. En étudiant avec soin la situation, on eut bien vite acquis la certitude que les mandarins des trois provinces étaient les auteurs de cette levée soudaine de boucliers. Les papiers trouvés sur les morts et les renseignemens fournis par les prisonniers ramassés sur les champs de bataillé ne laissèrent plus de doute à cet égard. Pou-Combo avait été payé par les autorités annamites ; celles-ci avaient fourni les vivres, l’argent, les hommes, les plans, ainsi que les barques qui portaient les fuyards dans un asile assuré et les renforts aux points vulnérables. L’amiral gouverneur se plaignit à Fan-tan-gian, chef suprême pour Tu-duc des provinces annamites limitrophes, de cette violation des traités et de la connivence des mandarins placés sous ses ordres. Fan-tan-gian n’était pas personnellement coupable, il usait au contraire ses forces à faire respecter la foi jurée ; mais, comme tous les représentans des pouvoirs faibles ou expirans, il était peu obéi. L’amiral n’insista point, et attendit avec patience les événemens.