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pour sauver son honneur et l’existence de plusieurs milliers de ses concitoyens.


II

Le plus aisé de notre tâche en Cochinchine était heureusement terminé ; la conquête d’empires lointains sur des races inférieures à la nôtre par l’intelligence et la force matérielle n’a jamais été d’une grande difficulté pour les Européens de toutes nations. Même dans les contrées les plus peuplées, les soulèvemens religieux ou nationaux ne triomphent jamais de poignées de blancs, bien commandés ; mais, une fois maîtres des principaux forts, des capitales, des clés du pays, les Occidentaux agissent à l’égard des vaincus selon le génie de la nation à laquelle ils appartiennent et les tendances politiques de la société où ils ont vécu. Il y a trois siècles, à l’époque de leurs principales découvertes et de leurs premiers établissemens, les Européens n’eurent guère que deux procédés de colonisation : dans le Nouveau-Monde, c’était l’extermination des indigènes et le remplacement de ceux-ci par des nègres ; en Asie, on prenait de vive force une ville comme centre d’un territoire, on s’agrandissait sans cesse par l’annexion rapide des petits royaumes, et on absorbait peu à peu les princes plus puissans, dont on dissolvait les forces par des traités onéreux ou des discordes intestines. Quel que fût d’ailleurs le système de conquête employé, dès que le peuple était soumis, le gouvernement de la mère-patrie était remplacé par l’autorité d’une grande compagnie, véritable société en commandite, dont l’objet fut d’abord la recherche de l’or, et dont la principale source de richesse consistait dans le monopole de tous les autres produits pour ses actionnaires à l’exclusion de ses propres nationaux. Ce fut un moment épouvantable dans la vie des peuples de plus de la moitié du monde, et ces horreurs n’aboutirent qu’à la banqueroute pour les compagnies et à la ruine pour les contrées qu’elles administraient. L’état, désarmé d’abord contre les exactions de ces fermiers, reprit peu à peu sa tutelle sur les populations décimées, et rentra dans la propriété du sol, partout appauvri par ce détestable système de régie. Au commencement de notre siècle, la compagnie des Indes anglaises subsistait seule ; mais son action était surveillée strictement par la couronne, dont les droits s’accrurent chaque jour jusqu’à la disparition de la compagnie, il y a quelques années.

Aujourd’hui toutes les colonies qui n’ont point reconquis leur liberté avant ou après notre révolution sont donc gouvernées