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telligence. L’auteur du Laocoon n’eut jamais d’enthousiasme que pour la critique. Quand il se trompe, c’est que l’homme est faillible ; parfois aussi dans la polémique il lui arrive de se tromper volontairement, mais en ce cas il est de sang-froid, il n’est pas dupe de son sophisme de circonstance, il a comme un sourire qui avertit le lecteur. Assurément on ne saurait le comparer à Winckelmann pour la connaissance pratique des arts et de l’antiquité. Winckelmann était demeuré a Rome près de douze ans ; il avait vu tout ce qu’on pouvait voir de son temps ; il avait vécu dans l’intimité du marbre, qui s’échauffait sous ses regards. Lessing était un antiquaire de cabinet, il n’a fait que sur le tard un voyage de quelques mois en Italie ; quand il composa son Laocoon, il n’avait rien vu, mais il montra tout ce que peut une érudition sagace et judicieuse fécondée par la critique et par le raisonnement. Ses opuscules archéologiques n’ont pas moins contribué à l’avancement de la science que la monumentale Histoire de l’art chez les anciens. Lessing possédait ce qui manquait à Winckelmann, la méthode, qui est l’outil universel. Il pense tout haut devant son lecteur, et lui donne envie de penser ; il lui communique ses doutes, se l’associe dans ses recherches et l’intéresse dans ses découvertes. Son point de départ est une difficulté soulevée par quelque docte, il l’examine, la pèse et la soupèse, la tourne et la retourne ; un texte grec lui vient à l’esprit, il y découvre ce que personne n’avait su voir avant lui, ce texte est une solution ; une autre citation vient prêter appui à la première et provoque à son tour une découverte ; d’instant en instant, de nouvelles questions surgissent, insensiblement le débat s’élève et s’agrandit. Il ne s’agissait dans le commencement que de la signification d’un camée où tel antiquaire a cru voir ceci, tel autre cela ; à propos de ce camée et sans jamais le perdre de vue, Lessing agite les plus intéressans problèmes de la science, et nous ouvre de lointaines perspectives. Toute archéologie mise à part, il sera toujours bon de le lire pour apprendre de lui comment la pensée fait sa pelote ; c’est un art où il est maître. Sa polémique un peu longue contre Klotz en fournit plus d’un exemple ; mais son chef-d’œuvre en ce genre, est son traité sur la manière dont les anciens représentaient la mort. La conclusion en est ainsi conçue : « c’est la religion mal entendue qui nous éloigne du beau, et c’est une preuve en faveur de la religion bien comprise quand son influence nous ramène au beau. » Cette proposition, qui parut hardie, charma la jeunesse de Goethe.

Le Laocoon n’est qu’un fragment, l’auteur avait promis une suite qu’il n’a pas donnée ; mais que de choses dans ce fragment ! Winckelmann a fourni à Lessing son sujet : dans son traité sur l’Imita-