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kilogramme de charbon de terre. Watt a donc établi que la force journalière d’un homme ne dépasse pas celle qui est renfermée dans 500 grammes de houille. »

L’invention devait avoir d’incalculables conséquences ; mais le plus difficile restait à faire : il fallait qu’elle sortît du domaine de la science industrielle et entrât dans nos mœurs. La France y fut réfractaire à un point qu’il serait bien difficile de comprendre, si nous ne savions que l’esprit de routine semble être l’âme même d’une nation dont l’entêtement seul égale la mobilité. Une ordonnance du 26 février 1823 avait autorisé la création d’un chemin de fer entre Saint-Étienne et Andrézieux ; inauguré cinq ans après, le 1er octobre 1828, il ne servait guère qu’au transport des marchandises. Ce fut ce bassin houiller qui donna l’exemple au reste du pays : les voies ferrées y furent promptement adoptées et offertes aux besoins de l’industrie ; des lignes très courtes, locales, égoïstes, si l’on peut dire, s’ouvrent successivement de Rive-de-Giers à Givors (1830), de Givors à Lyon (1832), de Rive-de-Giers à Saint-Étienne (1833), à Andrézieux à Roanne (1834). Une gondole traînée par trois chevaux était mise à la disposition des voyageurs. Cependant quelques députés qu’on traitait volontiers d’imprudens et de téméraires demandaient que la France ne se refusât pas plus longtemps a un progrès qui tendait à devenir universel, et qu’elle ne laissât pas l’Angleterre nous devancer trop rapidement dans cette admirable et nouvelle voie ouverte à l’activité humaine. Efforts inutiles ! c’est à peine si on les écoutait, et ce ne fut pas sans grande difficulté qu’on arracha aux représentans du pays légal, ainsi qu’on disait alors, le vote de la loi du 27 juin 1833, qui accordait un crédit de 500,000 francs pour études et exécutions de chemins de fer : c’était dérisoire ou peu s’en faut. Une mauvaise volonté latente et perpétuelle semblait déjouer les intentions les meilleures. Dans la séance du 7 mai 1834, M. Larabit réclama l’établissement immédiat des lignes de chemins de fer dont la France avait besoin. Ce qui prouve combien la question était loin d’être mûre et sur quelles illusions on vivait, c’est que l’orateur estimait qu’une somme de 400 millions serait suffisante pour mettre Paris en rapport avec ses frontières à l’aide de voies ferrées. Ce fut M. Auguis qui lui répondit, et, après avoir affirmé que la dépense totale dépasserait même 800 millions, il se servit, pour faire repousser la motion de M. Larabit, de l’étrange argument que voici : « l’intérêt le plus élevé dans les chemins de fer anglais ne va pas au-delà de 9 pour 100, tandis que l’intérêt dans les canaux va de 30, 32 à 50, 52, 70 et 72 pour 100, » et il termina en disant avec l’approbation de la chambre : « Ne nous engageons pas facilement dans la construction