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aujourd’hui elle couvre une superficie de 50 hectares[1]. Elle s’étend à droite de la voie quand on tourne le dos à Paris ; elle se compose des bâtimens d’administration et d’immenses hangars côtoyés par des quais où les trains viennent déposer et charger les marchandises. Il faut un large emplacement pour loger tous les colis qui arrivent jour et nuit ; le mouvement de va-et-vient est énorme, et il a été évalué pour l’année 1866 à 3,569,481,005 kilogrammes. Là s’amoncellent, soit revêtues de paille ou renfermées dans des caisses de bois blanc marquées de grosses lettres noires, soit en vracque, c’est-à-dire sans enveloppe, soit en sacs, en bouteilles, en fûts, des denrées de toute espèce, des marchandises de toute nature venues de la province, mais venues aussi d’outre-mer et débarquées dans nos ports de la Manche et de l’Océan. En voyant cette activité, ces piles de caisses, ces hommes agiles qui vérifient des numéros d’ordre, ces douaniers qui examinent les objets, ces sergens de ville qui se promènent l’œil aux aguets et l’oreille tendue, ces déchargeurs qui font bruyamment rouler leur brouette sur les parquets de bois, ces camions attelés de forts chevaux qui viennent chercher livraison de la marchandise attendue, ce désordre apparent qui cache une extrême régularité, on ne peut s’empêcher de penser à la description du port de Tyr, que nous apprenions dans Télémaque au temps du collège. L’Ouest a reçu en 1866 plusieurs millions de colis, sur lesquels 532 ont été égarés et dont la valeur a été remboursée aux propriétaires. Cette proportion est tellement minime que j’en parle seulement pour prouver avec quel soin toutes ces manutentions sont faites et quelle sécurité offre un si puissant moyen de transport.

En France, une difficulté de plus vient s’ajouter à toutes celles que présentent déjà la réception, le pesage, l’enregistrement et l’expédition d’une pareille quantité de marchandises. Au lieu de les faire retirer aussitôt qu’ils ont reçu leur lettre d’avis, les destinataires les laissent volontiers en gare, sachant que là elles sont emmagasinées avec précaution, qu’elles ne courent aucun risque et qu’elles ne seront grevées que d’un droit de consigne assez faible[2]. En un mot, les négocians considèrent volontiers les gares comme des docks où ils ont le droit de mettre leurs marchandises en dépôt. C’est là un abus grave et qui retombe de tout son poids sur les compagnies. Si, indépendamment de l’encombrement déjà excessif occasionné par les arrivages journaliers, il faut encore se charger de la garde, parfois très prolongée, des marchandises parvenues à destination

  1. Un point de comparaison donner à une idée nette de cette étendue ; le Champ de Mars n’a que 40 hectares.
  2. 2 cent. par 100 kilogrammes et par jour pendant les quinze premiers jours ; 5 cent, par 100 kilogrammes et par jour pour chaque jour en sus, sans limite de temps.