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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/139

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DARWIN ET SES CRITIQUES.

faune contemporaines. Lamarck s’est occupé du milieu physique, Darwin du milieu organique.

Le corps humain ne s’altère point d’une façon soudaine. Les changemens y sont graduels ; ils se produisent d’abord sur quelques élémens anatomiques, puis s’étendent avec plus ou moins de vitesse. Il en est de même, d’après Darwin, dans le monde organique, et les variations spécifiques ne sauraient avoir d’autre point de départ que des variations individuelles. Examinons donc comment de la vie individuelle prise comme centre ont pu se propager, ainsi qu’autant de cercles de plus en plus élargis, les différences organiques que nous pouvons constater chez les animaux. Il est clair que, si chez l’individu même les variations étaient purement accidentelles, sans lien avec le passé ni avec l’avenir, elles ne serviraient qu’à ajouter quelques bigarrures inutiles au tableau de la nature ; mais rien n’est livré au hasard, et il existe une force qui veille à la conservation de toute variation qui se produit. Cette force n’est autre que l’hérédité. Les effets physiologiques de l’hérédité, de tout temps attestés par l’histoire des peuples, des races, des familles, ont été à notre époque analysés par une science rigoureuse. La puissance de cette force conservatrice des types est reconnaissable dans les traits purement extérieurs, la forme, la couleur, les fonctions, les organes, et aussi, comme l’a bien établi Darwin, dans les habitudes, dans le tempérament, dans les instincts. On pourrait aller plus loin et en reconnaître l’empire chez l’homme jusque dans le domaine de l’intelligence et de la vie morale. Nous ne considérerons ici que les effets les plus tangibles et, pour ainsi dire, les plus grossiers de l’hérédité. Une expérience quotidienne nous apprend que le mystère de la génération gît non-seulement dans la reproduction d’un certain type spécifique, mais encore dans la répétition des traits individuels, des particularités propres à une race, à une famille. Kant l’avait bien dit, la formation d’un être nouveau est une épigénèse ; le produit présent puise tous ses élémens dans les facteurs du passé. Il reste toutefois à franchir la distance qui sépare les variations individuelles et héréditaires des variations profondes et radicales qui servent de caractère à l’espèce. Comment la nature subit-elle d’aussi fortes déviations ? Darwin les explique par ce qu’il nomme la concurrence vitale, le combat pour l’existence.

L’existence des êtres vivans n’est pas une idylle, c’est une bataille. S’il arrive qu’une famille animale ou végétale se trouve héréditairement douée de quelque avantage particulier qui lui assure une domination plus facile, une nourriture plus abondante, des amours plus fécondes, elle étendra graduellement son empire, et