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fection, mais une imperfection : la langue de la création ne s’enferme point dans des figures inaltérables, et les moyens d’expression qu’elle emploie peuvent sans doute toujours changer.

La théorie de la création continue trouve un puissant appui dans toutes les découvertes de la géologie : on ne peut plus nier aujourd’hui qu’il y ait eu une progression continuelle, dans le développement des formes organiques à la surface de la terre. Ce sont les types les plus humbles, les plus bas qui apparaissent les premiers. La vie multiplie graduellement ses organes, les spécialise ; les fonctions se séparent, la sensibilité s’aiguise, trouve des instrumens de plus en plus délicats. Sur le tronc d’abord informe de la vie surgissent des branches, sur les branches des feuilles, après les feuilles les fleurs. Si mutilée que soit la liste des anciennes espèces, la loi de la continuité y est si visible que tout être nouvellement découvert y trouve une place toute prête. Il n’y a rien d’arbitraire dans la nature ; on y sent je ne sais quelle profonde et puissante logique qui se fait toujours obéir. « Malgré les objections nombreuses que nous avons élevées contre la théorie de Darwin, écrit M. Janet en terminant sa critique, nous ne prenons pas directement parti contre cette théorie, dont les zoologistes sont les vrais juges. Nous ne sommes ni pour ni contre la transmutation des espèces, ni pour ni contre le principe de l’élection naturelle. La seule conclusion positive de notre discussion est celle-ci : aucun principe jusqu’ici, ni l’action des milieux, ni l’habitude, ni l’élection naturelle, ne peut expliquer les appropriations organiques sans l’intervention du principe de finalité. L’élection naturelle non guidée, soumise aux lois d’un pur mécanisme et exclusivement déterminée par des accidens, me paraît, sous un autre nom, le hasard d’Épicure, aussi stérile, aussi incompréhensible que lui ; mais l’élection naturelle, guidée à l’avance par une volonté prévoyante, dirigée vers un but précis par des lois intentionnelles, pourrait bien être le moyen que la nature a choisi pour passer d’un degré de l’être à un autre, d’une forme à une autre, pour perfectionner la vie dans l’univers et s’élever par un progrès continu de la monade à l’humanité. »

L’aveu est d’autant plus précieux à recueillir que M. Darwin, en parlant des variations organiques comme de hasards, d’accidens, avoue que par là il exprime seulement son ignorance de la loi mystérieuse de la création. S’occuper des causes secondes, ce n’est pas nier qu’il y ait des causes premières. Toute science est idéale en dépit d’elle-même : l’anatomie devient métaphysique quand elle ramène toutes les formes à des types, quand elle identifie l’aile de l’oiseau, la nageoire de la baleine, la main de l’homme ; elle est