est réduit à interpréter avec sa raison l’œuvre de la nature. Il n’a que des inductions et point de certitudes.
Parmi les inductions qui sont permises, on peut ranger, ce me semble, la possibilité d’une altération accidentelle dans le cours de la reproduction des êtres. Darwin, ainsi que la plupart des savans anglais, a accepté la doctrine géologique de sir Charles Lyell ; il croit que toutes les modifications que notre planète a subies sont dues aux causes que nous voyons encore agir sous nos yeux, et que ces causes n’ont jamais agi avec plus d’énergie que de nos jours. Une lente usure a creusé les vallées ; des mouvemens insensibles ont modelé graduellement les continens et fait surgir les systèmes de montagnes. Il est une autre école de géologues qui croit voir dans les hérissemens de la surface terrestre la preuve de révolutions aussi terribles que soudaines. Si l’on s’y attache, on introduit forcément dans la discussion de l’origine des espèces un élément nouveau. Quelle perturbation profonde ne causerait pas en effet dans le monde organique une révolution qui changerait sur une partie considérable de la terre la forme du sol, et qui déplacerait le lit des mers ! Du même coup seraient changés et le milieu physique et le milieu organique. La nature, arrachée à son long repos, ne serait-elle pas contrainte à modifier les expressions vivantes de sa puissance créatrice ? Les espèces, outre qu’elles subissent de lentes modifications, traversent donc peut-être des crises subites. Si tout change autour d’elles, comment ne changeraient-elles pas ? Les survivans de ces terribles catastrophes, assistant pour ainsi dire à la naissance d’un monde nouveau, pourraient-ils ne pas se transformer ?
La géologie, la paléontologie, poussent aujourd’hui visiblement la science à la doctrine de la continuité. Les lacunes qui séparent les espèces se remplissent par la découverte de variétés intermédiaires de plus en plus nombreuses, ou vivantes ou fossiles. De même un polygone se rapproche du cercle quand le nombre des côtés s’y multiplie. C’est par centaines de mille, par millions, qu’il faudrait compter sans doute les formes organiques, si la paléontologie pouvait restituer toutes celles d’où la vie s’est retirée : en face de tels chiffres, il semble que la théorie des créations répétées doive se trouver embarrassée. Peut-on croire que tant de types rattachés par tant de liens, de ressemblances et d’affinités, si difficiles souvent à distinguer, soient sortis séparément de la matière amorphe ? Notre vanité aime à imaginer une genèse miraculeuse et directe pour l’espèce humaine ; mais quoi ! faudra-t-il l’admettre aussi pour tant d’espèces chaque jour découvertes ? Les créations ont-elles été innombrables ? La génération spontanée ne s’opère jamais