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— raisons et imprimant à la polémique populaire le ton le plus injurieux et le plus acerbe[1].

On touchait cependant à l’époque de l’ouverture des états ordinaires de la province, qui venait d’être fixée au 29 décembre 1788. Cette circonstance, coïncidant avec l’injonction faite par le roi à toutes les communautés et corporations du royaume d’avoir à se réunir pour procéder à la rédaction des cahiers destinés aux états-généraux, porta l’effervescence à son paroxysme. Depuis le mois d’octobre 1788, tous les barreaux et tous les corps de ville de la Bretagne furent en permanence. Il n’y eut pas un incident politique survenu soit à Paris, soit à Rennes, qui ne donnât lieu à une consultation juridique et à une délibération municipale. La plupart des grandes communautés urbaines avaient déjà des agens à Paris, et toutes se concertèrent pour faire appuyer à Rennes, par des délégués extraordinaires, les demandes que leurs députés aux états avaient reçu le mandat impératif de faire prévaloir dans cette assemblée. Les membres du tiers allaient donc dans ce moment décisif se trouver placés sous le coup de prescriptions étroites et sous l’œil de surveillans empressés de faire preuve de zèle à l’heure où s’éveillaient dans tous les cœurs les premières étincelles de l’ambition politique.

Durant cette période agitée, une corporation se fit à Rennes, du seul droit de sa dévorante activité, le centre de tous les efforts, qu’il fallût écrire pu combattre, prononcer des harangues ou descendre dans la rue. L’école de droit joua en Bretagne, en 1788 et 1789, un rôle très considérable, et sut associer presque toujours à l’ardeur de la jeunesse une modération généreuse. Fortement organisée, comme l’étaient les diverses corporations intellectuelles dans la vieille société française, ayant sa juridiction et ses privilèges, l’école avait alors à sa tête un prévôt que les magistrats reconnaissans avaient salué, lors de l’émeute du 2 juin, du nom de général du parlement, rôle qu’il abandonna pour prendre contre le parlement celui de général de la révolution. Jean-Victor Moreau, fils d’un honorable avocat de Morlaix, avait été destiné au barreau,

  1. Parmi ces nombreux pamphlets, j’en citerai quelques-uns dont le titre est significatif : — L’ombre de Duguesclin au clergé et aux nobles de Bretagne ; — Les mânes de Duparc-Poullain venant éclairer ses concitoyens ; — Lettres d’un cultivateur à ses frères dans le servage ; — Homélie où l’on voit ce qu’il faut penser de la conduite de la noblesse de Bretagne ; — Apologie de la conduite du tiers calomnié par la noblesse à l’occasion des événemens de Rennes ; — Sentimens d’un patriote sur ce qui s’est passé à Rennes ; — Arlequin réformateur dans la cuisine des moines ; — Le droit du seigneur ; — Confiteor des gentilshommes bretons se confessant à la patrie opprimée ; — Les litanies du tiers-état de Bretagne ; — La semaine sainte et les lamentations du tiers-état ; — Le Magnificat du tiers-état, etc., etc.