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ses projets aux états. Elle n’admettait du reste en aucune façon que la Bretagne pût consentir à comparaître aux états-généraux du royaume autrement que par l’intervention de députés choisis pour les trois ordres par la représentation provinciale elle-même, selon ce qui s’était constamment pratiqué depuis la réunion à la monarchie, et personne n’ignore qu’elle persista jusqu’à la fin dans cette résolution déplorable.

Un gentilhomme qui s’était fait remarquer aux états par la pittoresque hardiesse de sa parole, M. le chevalier de Guer, se donna la tâche de combattre toutes les demandes du tiers, et l’accomplit avec plus de talent que de prudence. Dans une série de Lettres au peuple de Rennes, il s’efforce d’établir une distinction radicale entre ce qu’il nomme le haut et le bas tiers, l’un composé de personnalités ambitieuses, l’autre de deux millions d’hommes qu’il s’agirait de leur sacrifier. Selon M. de Guer, l’égalité des impôts et la substitution du droit commun de la monarchie au régime particulier dont jouit la province et qu’elle a si glorieusement défendu provoqueraient pour le peuple breton une condition matérielle et morale cent fois pire que celle dont on réclame à si grands cris le changement. Le droit commun du royaume introduira en Bretagne la gabelle avec les autres inventions fiscales que ses courageux efforts sont parvenus à écarter du moins en partie. Au lieu de 12 fr. d’impôt par tête, on y paiera la moyenne générale en France, qui est d’environ 22 francs ; au lieu de faire ses propres lois, on subira celles que dictera une majorité étrangère à l’histoire comme à l’esprit du peuple breton, et ce noble pays, cessant d’être lui-même, regrettera bientôt d’avoir sacrifié ses intérêts aux exigences de certaines vanités et au prestige d’idées non éprouvées par l’expérience. Tout cela ne manquait pas de portée, et les habitans de l’Ille-et-Vilaine trouvent peut-être aujourd’hui M. de Guer assez sagace pour avoir prévu d’aussi loin les budgets de 2 milliards ; mais le jeune publiciste ignorait deux choses : la première, que les masses rurales, inertes par elles-mêmes, ne sauraient empêcher l’évolution d’une pensée puissante, la seconde, que, si dans les grandes crises où sont engagées les destinées des nations il vient un jour où les intérêts peuvent l’emporter sur les idées, les idées marchent tout d’abord au pas de charge et sont toujours assurées de la première victoire.

Pour avoir été tardive, la tourmente ne sévissait en Bretagne qu’avec plus de fureur. Après avoir, durant plusieurs mois d’une polémique implacable, remué toutes les passions et posé tous les problèmes, elle s’abattit tout à coup sur le cloître gothique où venaient de se réunir les représentons de ce petit peuple qui allait