Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mordre la poussière à plusieurs assaillans ; il périt à côté de son ami de collège, le jeune chevalier de Chateaubriand, engagé lui-même dans ce conflit, qu’il a décrit d’une manière moins exacte que pittoresque, car déjà la muse emportait René dans le pays des chimères[1]. On eût dit qu’une longue suite de générations sortaient du tombeau pour régler leurs comptes dans ce triste jour. Le sang qui coulait de toutes parts excitait, au lieu de l’éteindre, l’ardeur de ces haines sauvages. Un étudiant fut renversé par quelques domestiques accourus pour défendre leur maître ; celui-ci, voulant sauver la vie de ce jeune homme, lui tend la main afin de le relever ; l’étudiant la repousse en s’écriant : « Plutôt mourir que de vous rien devoir ! » Un autre aperçoit le marquis de Montbourcher sortant de son hôtel profondément attristé et fort résolu à demeurer étranger à cette épouvantable lutte ; se trompant sur son attitude, le jeune homme s’écrie : « Vous dédaignez sans doute, monsieur, de vous mesurer avec un bourgeois ? — Je vais vous prouver le contraire, répond M. de Montbourcher, qui met aussitôt l’épée à la main, désarme d’une première passe son novice adversaire et se jette dans ses bras en s’écriant : — Ah ! monsieur, nous nous haïrions moins, si nous nous connaissions mieux ! »

Vers le soir, cinq ou six cents combattans, résolus à vendre chèrement leur vie, étaient renfermés aux Cordeliers, et les flots du peuple n’étaient écartés de cette sorte de place d’armes que par un cordon de troupes de ligne dont les dispositions hésitantes rendaient l’intervention fort périlleuse. A une nuit d’angoisse succéda une journée plus terrible. Le blocus se trouva le matin tellement resserré qu’afin de se procurer quelques vivres les gentilshommes affamés durent rétablir à tout prix leurs communications avec le dehors. Une décharge meurtrière partie de l’intérieur du couvent en dégagea en effet les abords ; mais le peuple, un moment dispersé, ne tarda pas à revenir exaspéré et à tout disposer pour l’incendie. En présence du bûcher qui se préparait au centre même de la ville, le sang-froid revint aux plus furieux. M. de Thiard, retrouvant enfin la résolution dont il avait manqué depuis l’ouverture de la crise, entama une négociation qui ne dura pas moins de trente-six heures, et du succès de laquelle il désespéra plus d’une fois. Après des efforts que l’imminence du danger rendit seule efficaces, le commandant parvint à faire agréer aux deux partis les termes d’un arrangement qui n’effleurait l’honneur ni de l’un ni de l’autre. Par une capitulation dont tous les termes furent minutieusement débattus, on s’engagea à ne plus se provoquer de part

  1. Voir les États de Bretagne aux Mémoires d’outre-tombe, t Ier.