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jusqu’à Sanafé par la passe de Koumaïli une route carrossable dont les caravanes, qui succéderont sous peu aux trains d’artillerie, ne manqueront pas de profiter. Ce sera un premier bienfait, et ce ne sera sans doute pas le dernier ; dont l’Abyssinie sera redevable à l’invasion. Grâce aux correspondances très nourries et très sérieuses des grands journaux anglais (en tête desquels il faut placer sous ce rapport le Times of India), il n’y a plus d’incertitude sur l’itinéraire que l’armée se propose de suivre. Le but principal de l’expédition étant de délivrer les prisonniers enfermés par le négus dans les forteresses de Magdala et de Debra-Tabor, le général en chef, sir Robert Napier, semble s’être surtout préoccupé d’arriver à ces deux villes par la voie la plus courte, et la configuration du pays, si mal connue qu’elle fût, a évidemment dicté son plan de campagne.

Depuis le Sennaheit, curieux petit pays que j’ai décrit dans une précédente étude[1], commence une longue chaîne de montagnes qui s’enfonce dans les terres inconnues des Gallas, et dont la partie explorée forme la limite naturelle aussi bien que la frontière politique de l’Abyssinie. Du côté de l’est, cette chaîne présente des escarpemens qui dominent d’une hauteur moyenne de sept mille pieds d’affreuses plaines brûlées sur lesquelles l’Abyssinie et l’Égypte revendiquent une suzeraineté absolument fantastique. A l’ouest, le terrain fléchit en pente douce vers le Nil et son grand affluent le Takazzé ; cette pente presque insensible forme un vaste glacis qui est le plateau abyssin. La portion du plateau comprise entre les montagnes et le cours du Takazzé est ce que l’on appelle le Tigré, nom collectif des provinces du nord-est ; c’est à peu près le tiers de l’Abyssinie. Le Tigré, moins riche et moins bien arrosé que l’Abyssinie centrale, n’en renferme pas moins une population de plus de douze cent mille âmes, active, intelligente, plus douce de mœurs et plus sympathique aux étrangers que les habitans d’au-delà du fleuve. Comme viabilité, ce pays offre aux Anglais des conditions relativement satisfaisantes. C’est une vaste dega : les Abyssins nomment ainsi les terres hautes, cultivées, populeuses, d’une fertilité luxuriante, par opposition aux kollas ou terres basses, asiles permanens de la fièvre (kolla nedad), et que l’homme abandonne prudemment aux rhinocéros et aux éléphans. Malheureusement toutes les rivières qui naissent à la partie supérieure du Tigré, et qui vont, en suivant la pente générale du plateau, aboutir au Nil et au Takazzé, ont creusé leurs bassins en longues kollas dont la largeur varie de une à trois lieues, et qu’on ne peut comparer qu’aux formidables barrancos du plateau

  1. Voyez la Revue du 1er juin 1865.