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LA
POESIE DES MONTAGNES

La Montagne, par M. J. Michelet, 1 vol. in-18.

Nous avions déjà lu une centaine de pages du nouveau livre de M. Michelet lorsqu’il nous sembla que cette œuvre, aimable comme ses aînées, était cependant de physionomie plus sévère. Nous n’y retrouvions pas au même degré les jeux irisés de cette fantaisie auxquels son imagination s’amuse, par lesquels il amuse l’imagination de ses lecteurs : moins de fleurs, moins de caprices, et, ce qui est plus singulier, moins de couleur. Les montagnes sont cependant, pensions-nous, le pays des illusions et des mirages, des arcs-en-ciel et des jeux les plus subtils et les plus fins de la lumière ; les couchers de soleil sur les hautes montagnes sont célèbres, et avec quel charme Byron, après Rousseau, nous a parlé de ces délicates teintes roses, comparables aux joues des enfans endormis ou aux rougeurs des vierges, que la lumière avant de s’éteindre répand sur les glaciers ! Cependant au bout de quelques minutes d’étonnement nous nous dîmes que cette particularité tenait sans doute non à l’auteur, mais au sujet, et nous fîmes une série de réflexions qui méritent peut-être d’être communiquées au lecteur.

N’est-il pas vraiment étrange que les montagnes, qui sembleraient devoir être un thème d’inspirations pour la grande poésie, aient eu si rarement le don d’inspirer les poètes ? La mer a trouvé par milliers des poètes pour chanter ses caprices, ses combats, ses tempêtes, ses symphonies si sauvages et si tendres ; mais les montagnes, à quelques grandes exceptions près que je signalerai tout à l’heure, — et ces exceptions sont toutes presque contemporaines, — n’ont pas eu de chantre qui leur soit propre. Les poètes ont chanté les mœurs patriarcales des populations naïves