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objets, car en les voyant on devinait sous quelles terreurs habituelles les imaginations qui les avaient enfantés avaient dû vivre, et de ces habitudes d’imagination on induisait facilement le caractère de la nature qui les avait produites. Je les ai vus tous et bien des fois, je n’en ai pas distingué un seul qui ne fût marqué d’un cachet diabolique et qui célébrât les louanges d’un autre dieu que du terrible dieu Siva. Le chapitre de M. Michelet a ressuscité en nous ces impressions et nous les a confirmées. Les voyageurs venus d’Amérique ont tous été unanimes pour louer la merveilleuse exactitude de la description des forêts vierges qu’il a donnée dans le livre de l’Oiseau ; je crois aussi qu’aucun voyageur de retour de Java n’accusera la fidélité des descriptions qu’il nous donne dans ce nouveau livre des séductions mortelles et des terreurs de ce pays de feu, car, si on a jamais pu accuser M. Michelet d’inexactitude, ce n’est pas dans les choses qui peuvent et doivent être saisies par l’imagination.

En lisant la seconde partie du livre de M. Michelet, je n’ai pu me défendre de penser pendant tout le temps à ce mot de l’Évangile : « bienheureux sont les petits, car ils seront glorifiés. » En effet, les héros véritables de ce livre, ce ne sont pas les montagnes, ce sont les arbres et les fleurs. M. Michelet s’adressait à la grandeur, et c’est la grâce qui lui a répondu. Dans le royaume de l’art, ce ne sont pas les plus grands objets qui ont le plus de prix ; un oiseau qu’on peut tenir dans la main, qui donne tout son chant sous l’étreinte et dont on sent palpiter avec une douce chaleur tout le petit cœur, une fleur qu’on peut retourner en tout sens entre ses doigts, connaître dans ses détails les plus délicats et dont on peut aspirer l’âme odorante, sont pour l’artiste mille fois préférables à ces géans que le regard humain ne peut embrasser et dont la vie intime ne peut être saisie. Ne nous étonnons donc pas si les pages heureuses abondent dans cette seconde partie du livre de M. Michelet. Il a trouvé, pour parler de la flore de la patrie, les accens les plus délicieusement émus. Il déplore, et nous partageons son opinion, cette invasion aveugle des fleurs étrangères qui ont détrôné nos fleurs françaises, invasion cosmopolite comparable à celle de ces essaims de nobles étrangères qui décorent les salons parisiens, mais dont les noms ne sont associés, à aucun souvenir de notre vie nationale. M. Michelet pense de ces plantes ce que la Perdita de Shakspeare pensait des giroflées bigarrées qui sont l’œuvre de l’art et non de la nature, et dit comme elle : « Je ne mettrais pas le plantoir en terre pour en faire pousser une seule. » Certes elle est bien modeste, notre flore nationale, comparée à la flore des tropiques et des pays d’Asie ; mais elle a ce mérite, que nul éclat ne saurait remplacer, d’être mêlée à notre vie morale. Les parfums de nos fleurs sont une partie de notre âme, leurs couleurs et leurs formes sont devenues des devises de nos sentimens, et à combien d’histoires d’amour riantes ou tragiques ne sont-elles pas associées, depuis la couronne d’Ophélie jusqu’au basilic de Salerne du Décaméron, depuis les bouquets de