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plantes et des arbres, la vie y est trop flottante et trop vague, trop livrée à la brise qui passe, trop dépendante des élémens qui l’enveloppent pour retenir longuement notre sympathie. Nous sommes construits de telle sorte que nous nous attachons aux êtres en proportion de leur personnalité. Aussi le même sentiment de satisfaction que nous avions éprouvé en passant du monde immobile des glaciers au monde des plantes, nous l’avons éprouvé en passant, dans la seconde partie du livre de M. Michelet, du monde des plantes au monde des hommes. Notre espèce occupe trois chapitres de la Montagne, un consacré au pays des Grisons, deux consacrés à la vallée de l’Engadine. Cependant, quelle que soit notre préférence pour l’humanité, nous avons craint un instant que l’intrusion de notre violente espèce dans ce livre consacré à la nature n’en troublât le caractère et n’en détruisit l’unité. Heureusement l’humanité que nous présente M. Michelet est humble, simple, aussi près de la nature que possible, et complète, au lieu de la troubler, l’harmonie de son livre. Ce sont trois charmans chapitres où l’historien de vieille date reparaît tout à coup à côté du récent amant de la nature, l’un chargé de traditions et de souvenirs, l’autre s’arrêtant de préférence à ce qui a vie présente. Dans le pays des Grisons, il a résumé en quelques traits rapides le caractère de cette peuplade, à moitié française, à moitié italienne, dont l’histoire rappelle sous une forme modeste l’histoire des orageuses municipalités italiennes, mais davantage encore celle des municipalités des Flandres, par un mélange très marqué d’opiniâtreté et de bonhomie. Une observation fine et profonde qui suffirait pour faire reconnaître l’origine du peuple, si elle venait à être oubliée, échappe à l’historien, et nous la saisissons avec empressement au passage parce qu’elle en dit plus long sur les inévitables destinées de certains pays, du nôtre en particulier, qu’elle ne paraît en contenir. « Au pays de Juliers, on voit du premier coup que la terre n’est pas allemande. Le trait fort spécial que dit très bien Tacite dans sa Germania, et qui n’a pas changé, c’est que les Allemands isolent volontiers leurs maisons. Les Velches, au contraire, les Gallo-Italiens, se groupent, habitent par villages : la vie urbaine est le trait de leurs races. »

Dans l’Engadine, M. Michelet a retrouvé une Hollande plus simple, ou, pour mieux dire, une sous-intendance des provinces françaises d’autrefois. Dans cette vallée jusqu’alors heureuse, mais, paraît-il, menacée, elle aussi, M. Michelet s’aperçut qu’il avait changé non de pays, mais bien d’époque, au café qu’on lui donna dans son hôtel à Samaden. Je veux transcrire ici ce court passage qui est comme un panégyrique de ce que nous-mêmes avions d’excellent, et une critique légère de ce que nous avons contracté de répréhensible. « Samaden a la gravité des beaux villages de Hollande avec moins de richesse et une simplicité qui m’alla fort. Sur le temple, je lus dans la belle langue romance ce mot très convenable de l’homme qui a réussi, conquis par ses efforts