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dissipations où son esprit avait puisé sans doute une précoce expérience. Je me le figure tel qu’il pouvait être dans cette vie du monde, jeune encore, ardent comme il était en tout, facilement aimable quand il le voulait, mais toujours un peu réfléchi, retrouvant par instans une gravité séduisante et gardant jusque dans le plaisir cette fleur de pureté première et d’élévation morale qu’il avait en lui. Pascal a pu s’amuser, il n’est tombé jamais assurément dans les divertissemens vulgaires et corrupteurs. C’est à cette époque qu’il avait connu le duc de Roannez, dont il était devenu l’ami, avec qui il était allé en Poitou, et qui le suivit plus tard dans la dévotion. C’est à cette époque aussi apparemment que dans un moment d’agitation de cœur il avait écrit le Discours sur les passions de l’amour qui a été enseveli pendant deux siècles dans la poussière d’un manuscrit inconnu. One fille de Mme Périer a laissé entrevoir dans des mémoires quelque chose de ces années mondaines qui sont toujours restées à peu près voilées. « Dans le commencement, dit-elle, cela était modéré, mais insensiblement le goût en revint. Il se mit dans le monde, sans vice néanmoins ni dérèglement, mais dans l’inutilité, le plaisir et l’amusement. Mon grand-père mourut (septembre 1651) ; il continua à se mettre dans le monde, avec même plus de facilité, étant maître de son bien. Et alors, après s’y être un peu enfoncé, il prit la résolution de suivre le train commun, c’est-à-dire de prendre une charge et de se marier… » Pascal n’était jamais allé et n’alla jamais jusque-là.

M. Sainte-Beuve, un des juges les plus fins, assure que l’auteur des Pensées n’a jamais aimé humainement, qu’il n’a eu d’autre passion que Jésus-Christ. C’est peut-être aller bien loin, et la maladie qui le poursuivait ne serait pas même une explication suffisante. Leopardi, plus malade que Pascal, a aimé ; il a subi tous les orages secrets de la passion. Un témoin singulier, Fléchier lui-même, dans le récit qu’il a laissé des Grands Jours d’Auvergne, met en scène une jeune beauté de Clermont, la Sapho du pays, et il ajoute : « Cette demoiselle était aimée par tout ce qu’il y avait de beaux esprits… M. Pascal, qui s’est depuis acquis tant de réputation, et un autre savant, étaient continuellement auprès de cette belle savante… » D’autres signes interprétés avec un peu de bonne volonté sembleraient indiquer que Pascal s’était épris d’une femme du grand monde dont le rang avait forcé son amour à la timidité, et dont l’honneur aujourd’hui, si elle était connue et si elle en avait été digne, serait d’avoir été aimée d’un tel homme. Une chose curieuse dans cette existence, c’est justement ce mystère qui est partout et qui est si difficile à pénétrer après deux siècles ; mais un signe bien autrement caractéristique, bien autrement parlant, c’est