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sociale sont soumis au timbre, les journaux dits littéraires en sont affranchis. Cette distinction est tout à fait arbitraire. Elle est absolument chimérique : il n’y a pas de littérature qui puisse être séparée, si ce n’est par fiction, de la politique, quand il n’y aurait que l’influence inévitable exercée sur les théories sociales et les mœurs par les œuvres littéraires. Cette distinction n’existe ni en Angleterre ni aux États-Unis. Là tous les journaux sont affranchis du timbre, et tous ils prennent, sans être gênés dans leur entournure, le développement que le goût et l’utilité du public leur demandent, ou que leur habile industrie leur suggère. Cette réforme ne date que de quelques années en Angleterre. Elle a été accomplie par M. Gladstone, secondé, si nous avons bonne mémoire, par M. Milner Gibson, et elle a produit les meilleurs effets. Grâce à l’affranchissement fiscal, à côté du Times, qui conserve sa prééminence et qui est comme une institution politique anglaise, des journaux à un penny s’impriment chaque jour à des centaines de mille exemplaires. Des journaux hebdomadaires ont des tirages non moins considérables. Chose remarquable, cette grande presse populaire est en ce moment un des puissans élémens d’ordre de l’Angleterre ; guidée par L’honnêteté du patriotisme et par une juste vue de ses intérêts, elle étudie et pressent l’opinion publique avec un tact parfait et la représente avec une franche fidélité. On est sûr en Angleterre de trouver la note juste, la note libérale et sage de l’opinion dans une feuille d’esprit comme Punch, dans une feuille d’images comme les London-News, aussi bien que dans les articles mâles du Times et les essais raffinés du Saturday. Méconnaîtra-t-on chez nous la leçon de cette expérience ? L’état voudra-t-il lever un tribut ridicule sur les besoins d’information du suffrage universel, sur les besoins de renseignemens des classes commerçantes, sur les plaisirs d’esprit des classes lettrées ? Oubliera-t-il ses doctrines économiques sur la liberté du commerce ? Se refusera-t-il à comprendre que, pour fonder une presse favorable à la sage liberté, et qui soit une défense puissante de l’ordre social, le gouvernement est intéressé à laisser les journaux livrer leurs produits suivant la demande, à leur permettre d’être des affaires commerciales saines et profitables pour les capitaux qui s’y emploient.

Impuissante, arbitraire et par conséquent mauvaise définition des délits, création d’une juridiction qui ne serait périlleuse à la longue que pour le pouvoir qui prendrait imprudemment plaisir à l’affronter, interdiction par un contre-sens incroyable de la publicité aux procès de l’opinion dont l’opinion est le seul juste juge, amoncellement contre les délits imaginaires de peines raffinées insupportables à la tolérance de notre époque et désavouées par l’esprit de la civilisation contemporaine, hésitations sur le timbre qui nous laisseraient inférieurs à l’étranger au point de vue des services matériels et moraux qu’est appelée à rendre