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aujourd’hui comme son plus parfait orateur se rassit en disant aux assistans ironiques qu’il les forcerait bien un jour à l’entendre. Il tint bientôt parole : dans le parti conservateur, il s’associa plutôt au groupe du chevaleresque lord Stanley, le lord Derby d’aujourd’hui, qu’à celui des amis et des élèves de sir Robert Peel ; puis, quand vinrent la crise de l’abolition des corn-laws et le déchirement du parti tory, M. Disraeli rallia et vengea les conservateurs déconfits par des philippiques toutes bouillonnantes du lyrisme du sarcasme. Sans M. Disraeli et son ami le grand sportsman, lord George Bentinck, soutenus et excités à la chambre des lords par les charges à fond de lord Derby, le parti tory fût tombé en poussière. Bientôt M. Disraeli devint le leader mal soutenu des tories, qui ne le suivirent d’abord qu’avec défiance et indiscipline. Aidé cependant par ceux qu’avait gagnés la grâce de son caractère et qui s’attachaient à sa fortune, et par le libéralisme du parti whig, il fit ouvrir aux juifs l’accès du parlement. La scission de lord Russell et de lord Palmerston en 1852 appela fortuitement les tories au pouvoir sous la direction de lord Derby, M. Disraeli étant chancelier de l’échiquier et leader de la chambre des communes. Malgré un de ces discours de quatre ou cinq heures sur le budget, qui sont le tour de force des ministres anglais, notre chancelier de l’échiquier ne put imposer ses propositions à la majorité formée par la coalition des peelites et des whigs. Ce que gagna M. Disraeli à ce premier et court passage aux affaires, ce fut l’apprentissage de l’art si important du maniement de la chambre : ses adversaires, whigs et radicaux, reconnurent avec empressement l’aménité complaisante qu’il apportait dans ses relations avec les membres, l’habileté assidue avec laquelle il dirigeait l’expédition des affaires. Un second ministère, encore abrégé par une coalition des peelites, des whigs et des radicaux, qui fit échouer le premier bill de réforme présenté par M. Disraeli, accrut son autorité et sa popularité comme leader de la chambre. Ce fut alors que le vieux Pam devint premier et pratiqua avec tant de succès l’art de tout endormir. La réforme parlementaire était à ce moment la chose énigmatique qui inquiétait tout le monde, quoiqu’elle eût été la promesse de plusieurs discours de la couronne et l’engagement de tous les partis. Lord Palmerston, en durant, badinait avec cette question, la repoussait doucement dans l’avenir et soulageait tout le monde. Ce fut la cause de la popularité du ministère de ce fin matois, qui se donnait pour le chef du grand parti libéral, mais qui prenait principalement son point d’appui sur les tories, lesquels se souvenaient de l’avoir possédé dans leurs rangs. La durée de ce couchant de la carrière de lord Palmerston dut plus d’une fois impatienter et M. Bright, le promoteur inflexible de la réforme, et M. Disraeli, qui se voyait affaibli dans son parti par l’énervante popularité du premier ministre. La mort de lord Palmerston changea tout. L’échéance de la réforme était arrivée. La chambre des communes se cabra une