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liberté de la vie, manquèrent ; l’art et la littérature, qui sont le reflet de la vie, ne pouvaient avoir une finesse que la société n’avait pas ; le style et le goût firent défaut presque en toute chose. Les chansons de geste ne valent pas plus Homère que les voussures sculptées d’une église gothique ne valent les frises du Parthénon. Le Parthénon ne serait pas le Parthénon, s’il n’était en marbre penthélique ; le précieux de la matière est la condition de tout chef-d’œuvre. Des lourdauds héroïques ne remplaceront jamais dans le culte littéraire de l’humanité les formes divines du monde épique de la Grèce. Ces héros carlovingiens sont honnêtes assurément, loyaux, créés d’une seule pièce, mais ils n’ont ni grâce, ni attitude ; ils ne sauraient fournir le sujet d’une frise, d’un vase peint. Ajoutez le manque de lumière, de gaîté, l’énorme chaîne créée par des dogmes terribles, la surveillance jalouse de l’église, une complète laideur chez le paysan, une grande platitude chez le vilain ; vous aurez le secret de la médiocrité à laquelle les œuvres du moyen âge semblent condamnées. Encore si elles étaient simples et vraies ; mais non, leur défaut est le plus souvent une déplorable afféterie, une choquante subtilité, une sorte de gaucherie pesante. Il y a des exceptions à tout cela ; la chanson surtout sut trouver quelques accens dont l’harmonie suave égala presque les rhythmes de la lyre antique ; jamais pourtant hors de la Provence et de l’Italie le génie barbare ne fut assez fort pour arriver au grand style, pour s’affranchir complètement de l’espèce de fatalité qui condamna nos ancêtres, sans distinction de classes, à n’être le plus souvent que des bourgeois dans le royaume de la beauté. Voilà en quel sens le moyen âge est une déchéance, une éclipse dans l’histoire de la civilisation, en quel sens aussi la renaissance fut un légitime retour à la grande tradition de l’humanité. C’est ce que comprenaient bien nos anciens, Fleury, les bénédictins, Daunou. L’étude du moyen âge ne faussa jamais leur jugement, car ils le comparaient toujours à l’époque saine et classique, aux pères de l’église en fait de christianisme, aux grands écrivains grecs et latins en fait de littérature. Ils n’aiment pas le moyen âge, et néanmoins ils l’étudient avec un soin minutieux, car pour les natures studieuses et savantes le goût personnel n’est rien ; pour elles, tout ce qui vient du passé est également digne d’intérêt.

Ce fut ce qui arriva pour M. Le Clerc. Cet humaniste, nourri de la plus fine fleur de l’élocution antique, ce professeur d’un goût essentiellement classique, ce critique dominé jusqu’à l’excès peut-être par les idées littéraires des anciens rhéteurs latins, laissa là tout à coup ses auteurs favoris pour une littérature qu’il trouvait barbare et rebutante, pour des chroniques mal écrites, des