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vit plutôt avorter des espérances que naître des grandes choses. Il ne sut pas faire une chanson de geste qui fût un chef-d’œuvre, il ne sut pas tirer une science vraie de la scolastique, il ne sut pas élever l’architecture gothique à la hauteur d’un art délicat. A partir de saint Louis surtout, un esprit étroit, mesquin, pesant, borné, enlève la couronne du génie à la. France et la transfère à l’Italie. Mais dans cette décadence encore que de fécondité ! Si la forme littéraire est médiocre, quelle énergie dans les caractères, quelle hauteur dans les sentimens, que de naïveté, que de foi !

Les premiers travaux de M. Le Clerc dans l’Histoire littéraire attirèrent justement son attention sur ce que le XIIIe siècle eut de plus grand, je veux dire sur les derniers et héroïques efforts que firent les Latins en Palestine pour garder une souveraineté que la force des choses leur arrachait. Ses articles sur Nicolas de Hanapes, le dernier patriarche de Jérusalem, à la fois guerrier, martyr, inquisiteur, et avec cela le plus doux des hommes, sur les relations de la prise de Saint-Jean-d’Acre, sur Jeanne, comtesse d’Alençon, sur les lettres de Marguerite de Provence, nous introduisent dans ce monde de saints et de saintes que Louis IX créa autour de lui, monde si hautement caractérisé par le courage, la douceur, l’humilité simple et grande, une sorte de mélancolie profonde et touchante. Quel récit que celui de la dernière prise de Saint-Jean-d’Acre, tableau inouï de l’agonie pleine de rage d’une troupe de moines et de chevaliers voyant se serrer autour d’eux le cercle fatal : au milieu de la bataille, les prédications enthousiastes de moines fanatiques, le massacre avançant d’heure en heure, des frénétiques qui se ruent pour chercher la mort, les religieuses qui se mutilent la figure avec des couteaux pour éviter le harem ! Pendant ce temps, Nicolas de Hanapes est entraîné vers la mer, jeté dans une chaloupe ; il exige qu’on y admette tous ceux qui voudront s’y sauver ; la chaloupe coule. — Entre toutes ces notices, la plus intéressante cependant fut celle que M. Le Clerc consacra au dominicain Brocard. Brocard est le meilleur des écrivains sur la Palestine au moyen âge. C’est un homme exact, de grand sens, relativement éclairé et même tolérant, le dernier de la famille de ces hardis voyageurs monastiques qui sont une des gloires du XIIIe siècle. M. Le Clerc corrigea en ce qui le concerne une foule de méprises, et montra où il fallait chercher le véritable texte de son ouvrage. Le récent éditeur de Brocard, M. Laurent, a repris le travail et confirmé les découvertes de M. Le Clerc. — Comme pour faire voir que rarement dans l’humanité les grandes choses se passent sans petitesses et sans impostures, un cantique que chantaient les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle et un itinéraire de ces