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condition de rigueur. Au début de la carrière universitaire, si souvent fermée aux recherches de la science pure, l’usage plaça ainsi pour le professeur l’obligation de se livrer au moins une fois à l’examen approfondi d’une question importante. L’approbation de M. Le Clerc, la recommandation dont il accompagnait son rapport au ministre fut la porte de toute vie consacrée à l’enseignement élevé. M. Cousin, à qui M. Le Clerc laissait en général la direction des thèses philosophiques, établit la même règle pour les études qui relevaient de lui. Ainsi se forma cette remarquable collection de monographies, qui ont renouvelé chez nous l’histoire littéraire et philosophique, et à laquelle l’Allemagne n’a rien à opposer. Tout y figure, l’antiquité dans ce qu’elle a de moins connu, le moyen âge, vers lequel le savant doyen se plaisait particulièrement à conduire les jeunes travailleurs, l’Orient même dans une certaine mesure, les littératures modernes enfin pour leurs questions les plus délicates. La part de M. Le Clerc en ces travaux était très grande : il indiquait le sujet, fournissait les renseignemens sur les sources, revoyait et corrigeait les essais des candidats. Le jour de la soutenance était une vraie fête de l’esprit. Dans une chétive salle d’entre-sol, que la ténacité de M. Le Clerc aux anciens usages ne permit jamais de changer, se groupait autour d’une table toute la noble Sorbonne d’alors, MM. Cousin, Villemain, Fauriel, Saint-Marc Girardin, Guigniaut, Patin, Damiron, Ozanam. La belle et souriante figure de M. Le Clerc, animée par la discussion, semblait au milieu de ce cercle illustre une apparition des temps anciens. Sa parole, tour à tour grave et enjouée, intervenait à chaque instant dans la dispute pour la soutenir, la diriger, quelquefois la passionner. Sa verve intarissable, son érudition étincelante, faisaient la suite, et, si j’ose le dire, la trame de ces belles argumentations. Il y portait un mélange singulier d’agrément et d’austérité, un tact exquis, une manière de louer et de blâmer si fine, si juste, si heureuse, que même ses sévérités les plus vives étaient respectueusement acceptées. De tels actes publics pouvaient durer six heures sans que l’on s’en fatiguât. On sortait de ces brillantes séances vivement excité aux travaux solides ; c’était là pour la jeunesse studieuse la meilleure des écoles.

La fermeté de M. Le Clerc pour maintenir les droits et les libertés du corps enseignant égalait son zèle pour conserver la force des études. Dans le conseil académique de Paris, dans le conseil général de l’instruction publique, ses vues furent toujours sages et libérales. En 1848, sans toucher à la politique ni profiter en rien d’une révolution qu’il n’avait certes pas appelée, il évita l’esprit de réaction, accueillit les espérances du temps. Un jour qu’un de ses confrères à l’Institut s’exprimait sur les questions brûlantes avec