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administration que l’Europe nous envie. » Pour accomplir cette donation, il eut à traverser tant d’enquêtes, de papiers de justice, de formalités, qu’il eut peine à en sortir.

Sa vie était d’une extrême sobriété, ses mœurs furent toujours d’une pureté austère. Logé sous les combles de la Sorbonne, il habitait en quelque sorte au milieu des livres, qui débordaient de toutes parts. Cette belle cour, avec ses majestueux pavillons et ses nobles portiques, ces vieux escaliers avec leurs rampes formées de poutres massives qu’ont foulés tant de graves et laborieuses générations, étaient pour lui l’univers. Ennemi de tous les changemens matériels, il contribua beaucoup à en écarter le marteau destructeur. Il n’allait pas dans le monde, le commerce de l’antiquité lui suffisait ; ses sorties se bornaient à se promener seul dans quelque allée du Luxembourg. Il quittait le moins possible sa solitude, peuplée par les souvenirs de tous les âges et embellie par les fleurs les plus exquises de toute littérature. On respirait en montant chez lui l’étude et la gravité. Sa porte était ouverte à tous ; sa figure sérieuse, qui paraissait ressuscitée d’un autre siècle, eût bientôt écarté l’importun et l’oisif. Au premier coup d’œil, il pouvait sembler sévère ; mais quiconque aimait l’étude le trouvait bientôt plein d’aménité, de bonhomie et de finesse.

Il fut le dernier des sages à l’ancienne manière, et plaise au ciel que ceux qui souriront de tant de simplicité nous fassent une France comme celle de ces pédans d’autrefois ! Son désintéressement allait jusqu’aux attentions les plus délicates. Il ne mettait pas de bornes à sa charité. Outre la somme considérable qu’il remettait chaque année au curé de Saint-Étienne-du-Mont, sa domestique avait ordre de ne refuser aucun mendiant. Plusieurs pauvres honteux du quartier vivaient de ses aumônes. Ses amis furent plus d’une fois chargés par lui de porter à des misères cachées des secours dont l’origine devait toujours rester inconnue.

Son patriotisme était profond ; c’était, à vrai dire, sa seule passion. Il n’entrait pas dans les divisions de partis. Tout gouvernement établi était à ses yeux légitime dès qu’il faisait le bien. Un jour qu’on parlait devant lui des sermens de fidélité : « Ah ! quand donc, dit-il, aurons-nous aussi un gouvernement qui nous soit fidèle ? » Son bonheur était de contribuer à la gloire de la France. Sous le vieillard de soixante-dix ans, on sentait encore l’enfant reconnaissant pour la société qui l’avait élevé, lui avait donné des titres de noblesse et une tradition à continuer.

Les premières atteintes de la vieillesse vinrent pour M. Le Clerc vers 1857. Une attaque de diplopie inspira dès lors à ses amis certaines inquiétudes. Quelques parties de son grand discours sur le XIVe siècle n’étaient encore qu’ébauchées. Il craignit un moment