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cette conséquence, que dans les temps modernes elle s’est dérobée plus que toute autre à l’influence étrangère, c’est insister en apparence sur une loi physique, et Buckle écarte les lois physiques ou à peu près de l’histoire des nations civilisées et progressives. Ici toutefois la forme du pays ne sert point à expliquer la civilisation anglaise : elle n’agit en rien, elle ne fournit pas la cause de tel ou tel fait, elle est tout simplement l’obstacle grâce auquel l’imitation de l’étranger a été impossible ou rare. On raisonne souvent sur le caractère insulaire du peuple anglais : du temps de notre révolution surtout, on en a tiré des argumens sur la nécessité de laisser à ce peuple des formes politiques nées de sa position spéciale. Ce qu’il y a de plus vrai sur ce point a été dit par Coleridge : le premier bienfait de la situation géographique de l’Angleterre, c’est qu’elle a tiré elle-même ses institutions de ses besoins. Buckle, en choisissant l’histoire d’Angleterre pour champ particulier de ses observations, se croit entièrement affranchi du préjugé de l’amour-propre national. Ni le nombre des découvertes, ni l’éclat de la littérature, ni le succès des armes n’est pour quelque chose dans ce choix ; mais c’est l’unique pays où durant longtemps le gouvernement ait été paisible, le peuple actif, la liberté assise sur une large base, les individus en possession du droit de dire ce qu’ils pensent et de faire ce qu’ils veulent, où en l’absence à peu près complète de tout obstacle le libre jeu de la pensée humaine et le courant de l’intelligence puissent être aisément suivis et connus, où les croyances les plus hostiles entre elles fleurissent côte à côte, indépendamment de toute faveur ou contrainte, où tous les intérêts et toutes les classes soient laissés à leur propre sauvegarde, où la doctrine envahissante, intrigante, de la protection gouvernementale ait pour la première fois été attaquée et, par un exemple unique jusqu’ici, entièrement détruite. Analyser les pas successifs du progrès social dans son pays et vérifier dans cette immense étude les lois qu’il s’est efforcé plus haut d’établir, nous l’avons déjà dit, voilà ce que l’auteur a entrepris. Il ne l’a pas fait, mais il l’a ébauché : sa vaste introduction nous présente assez d’élémens pour tracer avec certitude les lignes de l’édifice projeté. La France, l’Ecosse, l’Espagne, y figurent à titre de comparaisons et d’éclaircissemens abondans et fructueux.

Commençons par l’influence religieuse, que l’auteur a niée ou rejetée dans la portion flottante de l’histoire. Il s’agit, pour Buckle, de montrer que le progrès social de l’Angleterre moderne n’est pas dû à la religion, que l’un est au contraire en raison inverse de l’autre, et qu’un maximum de connaissances répond à un minimum de foi. Buckle date la civilisation anglaise de l’apparition du