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considérations diminuent la confiance et mettent des bornes à la loquacité de ces hommes superficiels qui, parvenus à un pouvoir temporaire, se regardent comme chargés de garantir telles ou telles institutions, de soutenir telles ou telles idées ! Ils devraient comprendre qu’il n’entre pas dans leurs fonctions de devancer la marche des affaires humaines, de pourvoir à un avenir éloigné. Quand il s’agit de bagatelles, on peut le faire sans danger, et encore n’y gagne-t-on rien ; mais dans ces lois considérables, fondamentales, qui influent sur la destinée d’un peuple, une telle initiative est plus qu’inutile, elle est hautement injurieuse. Dans l’état présent des connaissances, la politique, loin d’être une science, est un des arts les plus tardifs, et la seule conduite assurée pour les faiseurs de lois est de ne voir dans leur métier que le secret d’adapter des conceptions temporaires à des circonstances temporaires. Leur fonction est de suivre leur siècle et nullement d’essayer de le conduire.


Que pensez-vous de ce ton hautain, de cette triple fierté du philosophe jugeant les hommes d’état du haut de ses études sereines, du radical qui regarde les fils des Temple et des Walpole comme de simples commis préposés à la manutention de la politique, du positiviste se croyant en possession d’une science nouvelle du gouvernement ? Dans un pays qui a fait du gouvernement libre une expérience deux fois séculaire, cette hauteur de langage avec les hommes d’état n’est pas la revanche stérile de l’impuissance sur l’autorité victorieuse. Elle fait encore l’éloge de la liberté, puisqu’elle prouve que, dans l’opinion d’un simple lettré, d’un enfant de la Cité de Londres, la liberté suffit à tout.

Nous ne suivrons pas Buckle dans ses développemens sur la littérature, nous rappelons seulement qu’il fait consister la civilisation dans la somme des connaissances scientifiques. Si le gouvernement est un effet, non une cause du progrès, la littérature proprement dite est dans le même cas. Elle ne crée pas la société, elle en est l’image et l’expression. Ce n’est pas Shakspeare, ce n’est pas Milton, qui ont fait le XVIe ou le XVIIe siècle ; ils en personnifient les sentimens, les désirs, souvent les rêves. Les poètes et les orateurs remuent les cœurs, les imaginations ; ils ne peuvent ajouter aux connaissances, ni pousser en avant les esprits. C’est Bacon et Newton qui dominent le XVIIe siècle et le conduisent : ils expriment le degré de puissance de la civilisation contemporaine. En effet, Bacon, en soumettant à l’analyse toutes les notions prises pour point de départ, a communiqué à la pensée moderne l’habitude de repousser tous les principes qui ne sont pas appuyés sur des faits. Sa méthode inductive n’accorde rien, elle veut voir par elle-même, et ne reconnaît d’autres lois que celles qu’elle a elle-même trouvées en