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HAMLET
ET
SES COMMENTATEURS DEPUIS GOETHE

Lorsqu’il y a deux ans parurent les études de M. Rütmelin sur Shakspeare[1], ce fut un mouvement dans toute l’Allemagne raisonnante et littéraire. L’auteur, qui d’avance avait compté sur le bruit, obtint ce qu’il voulait. Le scandale fit la fortune de son livre. On le lut, on s’en amusa, quelques-uns même prirent la peine d’y répondre sérieusement. À ces réfutations d’autres répliquèrent, et la littérature sur Shakspeare, déjà si volumineuse, s’accrut en peu de temps d’une masse d’ouvrages nouveaux. Il va sans dire que M. Rümelin est un réformateur de l’esthétique moderne, un Lessing de fabrique nouvelle qui vient pour séparer le bon grain de l’ivraie et nous montrer le grand poète britannique sous sa véritable forme et dépouillé du fantasmagorique appareil dont le mirage des temps l’environne. Ce culte séculaire, universel, rendu au génie, déplaît à ce réaliste, comme s’appelle délibérément M. Rümelin. Il se fâche d’entendre ce chœur de louanges. Ce flot d’écrits, ces éternels jubilés, ces associations propagandistes, échauffent sa bile d’amateur. Une fois pour toutes il veut en finir. Tant d’excès lui mettent la plume dans la main, bien qu’il ne soit qu’un profane en littérature, un simple lecteur bénévole, lui-même nous le dit. C’est bien peine perdue, car on s’en aperçoit de reste à son ouvrage. D’une part, ni esthétique ni critique ; de l’autre, pas la moindre de ces notions philologiques sans lesquelles il n’est aujourd’hui permis à personne d’aborder un Shakspeare, un Dante, un Pétrarque. Dilettantisme

  1. Shakspeare-Studien, von Gustav Rümelin ; Stuttgart ; Gotta, 1866.