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Le prince obéit ; pourquoi ? passivité, langueur. Il part sur un mot de Claudius, comme sur un mot de la reine il resta lorsqu’il s’était mis en tête de retourner à Wittenberg. De plus, la réflexion, incurable maladie, lui conseille de gagner du temps. N’a-t-il pas des plans ultérieurs qu’il médite et dont il laisse entrevoir l’existence quand il retombe sur lui-même au sortir de cet entretien si véhément, si tragique avec sa mère ? « Laissons faire. C’est mon plaisir de voir sauter l’ingénieur par son propre pétard. J’aurai du malheur, si je ne réussis à creuser d’un mètre au-dessous de leurs mines et à les lancer dans la lune. » Il part ; la faute a beau peser sur sa conscience, il s’éloigne. Un moment, en chemin, le remords de son inaction l’enflamme de nouveau ; rencontrant Fortinbras à la tête de ses troupes, il s’accuse, s’emporte. Toujours des paroles, jamais d’actes ; il n’arrive aux actes que par voies détournées ou bien quand ses paroles elles-mêmes sont des actes. Il a de ces discours qui vous poignardent. Son apostrophe à sa mère par exemple, quelle force, quelle puissance dans ce langage de la faiblesse ! Où voit-on le châtiment prononcer de plus haut, foudroyer de traits plus écrasans une âme polluée ? Hamlet admonestant sa mère, rappelant de ce ton sublime la malheureuse au sentiment de sa dégradation, s’il fait plus qu’il ne doit (comme l’ombre le lui reproche), il fait du moins quelque chose. La machination du voyage en Angleterre échoue ; Hamlet dépiste l’intrigue, envoie ses deux perfides compagnons se faire expédier à sa place et reparaît à la cour de Danemark. Le roi, Laërte, unis par leur haine, le reçoivent. Laërte, je l’ai dit, est le contraire d’Hamlet ; ce qu’il est nous montre juste ce qu’Hamlet n’est pas. Quant au roi, nous le connaissons. Le coupable et le justicier se retrouvent. L’inexorable destinée les remet en présence, tous les deux avec leur secret, leur remords, celui-là tourmenté de l’idée de son crime, celui-ci de l’idée que ce crime, par sa faiblesse, sa lâcheté, reste impuni. La nécessité commande, l’heure approche, pousse à l’entreprise. Claudius, Hamlet, entendent le suprême appel, se préparent ; au scélérat d’inventer quelque nouvelle trame d’infamie, au justicier retardataire d’aboutir enfin !

L’assaut d’armes traîtreusement organisé par le roi et Laërte a lieu selon l’appareil et l’apparat de cette cour, féodalement, pompeusement symbolique, où le canon des citadelles s’ébranle et tonne chaque fois que le roi et la reine boivent un coup. Hamlet vient au rendez-vous en d’assez mauvaises dispositions, il a dans l’âme une sorte de pressentiment qui suffirait peut-être « à troubler une femme, » et n’est au demeurant que le résultat inconscient d’une série de faits particuliers. Laërte, avec qui on va