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adopter des valeurs aussi multipliées. Il se servit d’abord des signes touraniens comme symboles d’idées et d’objets, et les désigna par les mots de son propre idiome, sémitique d’origine, ainsi que le monogramme de Dieu nous en a offert un exemple. Il fit de même pour des locutions entières, qu’il transporta, sous la forme écrite originelle, du touranien en assyrien, et qu’il lisait en substituant la locution correspondante de cette dernière langue. C’est de la sorte que les Japonais se servent des livres chinois ; ils en lisent les caractères en substituant à la prononciation chinoise le mot de leur propre langue qui exprime la même idée. Les Assyriens ne se bornèrent pas à cet emploi des caractères cunéiformes, ils apprirent aussi à en distinguer la valeur phonétique touranienne d’origine, et en firent usage comme signes des articulations correspondantes. Le syllabaire touranien passa de la sorte tout entier aux Assyriens ; mais ces derniers, aux valeurs vocales qu’avaient déjà les signes, ajoutèrent de nouvelles valeurs qui découlaient de leur propre idiome. Expliquons par un exemple comment ils s’y prirent.

Pour rendre l’idée de main, les Touraniens avaient dans le principe dessiné une main ouverte, et comme dans leur langue la main se disait kurpi, ils lurent cette image, puis le signe cunéiforme qui en était dérivé en prononçant le mot kurpi. A l’origine, les images matérielles gravées sur la pierre ou la brique servaient aussi à peindre, par voie métaphorique, une idée soit abstraite, soit générale. La main (kurpi) exprima ainsi les idées de prendre, posséder, étendre, mais quand en lisant les Touraniens rencontraient le monogramme de la main avec un de ces trois sens, au lieu de le prononcer kurpi, ils le prononçaient comme s’il avait exprimé le mot de leur langue répondant à l’un de ces verbes, par exemple ils disaient imidu ou imadu. De là les valeurs phonétiques kurpi et imadu, et par abréviation kur et mat, attribuées chez eux au monogramme de la main. Une fois ces sons attachés à un tel signe, on se servit du monogramme qui les représentait pour écrire phonétiquement des mots renfermant l’une de ces syllabes sans avoir aucune relation de sens avec le mot main. Kur, signifiant en touranien montagne, lever du soleil, mat ayant dans la même langue le sens de terre (mada), le monogramme dérivé de la figure de la main comporta aussi ces différentes acceptions. Avant même d’être adoptés par les Assyriens, les signes cunéiformes offraient donc chacun plusieurs valeurs phonétiques et plusieurs significations. — Ces valeurs et ces significations passèrent chez les Assyriens, qui y ajoutèrent les valeurs vocales que donnaient les mots de leur propre langue répondant aux idées figurées par le monogramme. Le signe de la main prit ainsi chez eux la valeur phonétique dérivée des mots assyriens signifiant montagne, lever du