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communiquer directement avec la mère-patrie et le reste de l’Europe que par le cours du rio San-Juan ou bien par d’étroits sentiers taillés dans les gorges des montagnes et les forêts marécageuses vers les rivages du golfe du Mexique. Le commerce maritime devait accomplir l’énorme détour du Cap-Horn, ou suivre l’antique voie des galions espagnols par les îles Philippines et le cap de Bonne-Espérance.

L’ouverture du chemin de fer de Colon à Panama, due à l’initiative des Américains du Nord, fournit enfin, il y a treize années, un nouveau débouché aux républiques de l’isthme. Des bateaux à vapeur touchant aux ports de la côte du Pacifique, San-José, la Union, Corinto, Puntarenas, transportent maintenant à Panama les voyageurs et les marchandises, et, grâce à la rapidité du trajet, cette petite voie ferrée de la Nouvelle-Grenade, qui fait pourtant payer si cher les services rendus, a donné brusquement une nouvelle direction au mouvement des échanges avec l’Europe et les États-Unis. Au lieu de gagner la mer des Antilles, qu’elles doivent traverser pourtant afin d’atteindre le lieu de destination, les denrées de l’Amérique tropicale se dirigent d’abord vers le Pacifique, et commencent ainsi leur voyage en sens inverse. Au Guatemala notamment, le port d’Izabal, situé à l’extrémité de la baie de Honduras, a perdu le monopole du commerce extérieur, qui lui était acquis presque en entier : pendant l’année 1865, il ne donnait plus passage qu’à la seizième partie du trafic guatémalien ; les caravanes de muletiers, cessant de se diriger à l’est vers l’Atlantique, avaient presque toutes pris le chemin de San-José, sur le rivage de la mer du Sud. Dans un avenir prochain, les habitans de l’Amérique centrale auront un moyen encore plus sûr et plus rapide pour se rendre à New-York et y transporter leurs produits, car les ouvriers yankees travaillent avec une ardeur étonnante à la création de ce chemin de fer, la plus hardie des constructions humaines, qui doit réunir San-Francisco à Saint-Louis du Missouri à travers la Sierra-Nevada et les Montagnes-Rocheuses, et pas un jour ne s’écoule sans qu’ils aient posé un ou plusieurs kilomètres de la voie. Il serait difficile de s’exagérer l’importance qu’aura pour les contrées de l’Amérique tropicale cette ligne nouvelle, qui les mettra soudain à 4,000 kilomètres plus près des pays les plus industrieux et les plus prospères de la zone tempérée ; mais, entre les deux chemins de fer de San-Francisco et de Panama, il n’en reste pas moins un espace de plus de 3,500 kilomètres dépourvu de voie ferrée interocéanique. Par un étrange résultat de la configuration géographique du pays, les villes principales du Guatemala, du Salvador, du Costa-Rica, sont commercialement plus rapprochées de San-Francisco, de Lima, d’Honolulu, qu’elles ne le sont des rivages