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Malgré la netteté de sa déclaration finale, M. Barral fait plusieurs concessions de détail. La première porte sur le carbone, qui s’exporte à Masny comme les autres élémens, et qui n’est pas renouvelé par des importations spéciales. « Dans le cas, dit-il, d’une culture telle que celle de Masny, qui repose essentiellement sur la production de la betterave à sucre, il y a une grande quantité de carbone exportée ; mais une preuve indirecte de l’excédant de réimportation se trouve dans l’accroissement des rendemens du domaine. Il faut considérer que les eaux souterraines et de surface apportent beaucoup d’acide carbonique en dissolution ; une partie des récoltes du domaine est à racines pivotantes, qui puisent dans le sous-sol et ramènent à la surface une nourriture qui enrichit la couche atteinte par les instrumens de labour ; les eaux pluviales, lavant l’atmosphère d’une localité où se trouvent tant de cheminées qui vomissent d’énormes quantités d’acide carbonique, sont plus riches que partout ailleurs en un gaz, source du carbone des plantes. C’est ainsi que l’humus des terres de Masny n’a pas diminué. » Ce qui se passe pour le carbone ne peut-il point se passer pour les autres élémens, quoiqu’on n’ait pas encore pu en saisir toutes les transformations ?

M. Barral fait une distinction entre les prairies irriguées et celles qui ne le sont pas ; il paraît admettre que l’irrigation apporte des sources d’engrais qui manquent aux autres prairies. Les eaux d’irrigation doivent en effet se charger, en traversant la terre, de principes fertilisans ; mais rien ne prouve que les prairies non irriguées n’aient pas aussi des moyens de décomposer à leur profit l’eau, l’air et le sol. Quand on compare les pays où abondent les prairies naturelles irriguées et ceux qui n’ont pour ainsi dire que des prairies artificielles, on trouve les seconds plus généralement riches que les premiers. Les départemens de Seine-et-Oise, de Seine-et-Marne, de l’Oise, de la Somme, ont peu de prairies naturelles, et n’ont presque pas de prairies irriguées ; ils figurent cependant parmi les plus riches. Au contraire, les départemens qui possèdent le plus de prairies irriguées, la Creuse, la Haute-Vienne, les pays de montagnes en général, comptent parmi les moins productifs. Cette différence tient sans doute à des causes multiples, mais elle prouve dans tous les cas que les prairies irriguées n’ont pas sur les prairies artificielles la supériorité qu’on leur attribue.

Les auteurs qui soutiennent la même thèse que M. Barral invoquent à l’appui de leur opinion des exemples historiques. « Voyez, nous disent-ils, , les pays anciennement habités par les hommes, ils sont épuisés. Voyez en particulier la Sicile ; cette île a consommé les phosphates de son sol en vendant du blé aux Romains, et elle ne peut plus rien produire. » Cette observation serait vraie, qu’elle ne prouverait rien contre l’assolement alterne, à peu près inconnu des anciens ; mais il y a plus, les faits ne disent pas ce qu’on leur fait dire. Ce n’est pas la culture qui