Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/555

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le troisième système, le dualisme, est plus difficile à bien saisir, parce qu’il n’est pas conforme aux principes sur lesquels reposent les états modernes. L’idéal du dualisme se trouve dans la péninsule Scandinave, où la Suède et la Norvège n’ont rien de commun que le souverain. C’est le type de l’union personnelle. Longtemps l’union personnelle était le seul lien qui rattachât la Hongrie aux autres états de la maison de Habsbourg. Quoique, par une série d’actes que les Magyars appellent des usurpations, l’influence allemande et la chancellerie viennoise eussent créé un mode d’association un peu plus intime, on peut affirmer que, jusqu’en 1848, l’Autriche renfermait deux parties, deux territoires indépendans, d’un côté les pays de la couronne de saint Etienne, Hongrie, Croatie, Slavonie, Transylvanie, jouissant d’institutions constitutionnelles, et de l’autre les états dits héréditaires, soumis au régime absolu, avec des diètes provinciales votant sans opposition, sans débats, des impôts directs réclamés chaque année par le commissaire royal. Le dualisme était donc de droit historique, et tous les Hongrois en demandaient le rétablissement. Seulement les uns, le parti démocratique, le voulaient sous la forme de l’union personnelle dans toute sa rigueur ; les autres, les modérés, considérant que le temps et les circonstances ont fait naître des intérêts communs aux deux moitiés indépendantes, consentaient à soumettre le règlement de ces intérêts à une délibération commune, mais avec des réserves minutieuses dont nous aurons bientôt à exposer le mécanisme compliqué. Pour obtenir le concours de la Hongrie, on a accepté le système de dualisme élaboré par les modérés. Est-il nécessaire de dire qu’il a soulevé l’opposition des autres races et des autres partis ? Les Allemands s’y soumettent, parce qu’ils ne croient pas pouvoir faire autrement ; mais ils ne l’aiment point, parce qu’il enlève toute la partie orientale de l’empire à leur influence et qu’il conduira, pensent-ils, à une séparation complète de la Hongrie. Les Slaves repoussent le dualisme, parce qu’il livre, disent-ils, les Tchèques et les Slovènes à la merci des Allemands, les Croates et les Serbes à la merci des Magyars. L’élément slave est sacrifié : nulle part il ne peut obtenir la mesure d’influence qui lui revient ; nulle part il ne lui est permis de constituer sa nationalité par la culture de sa langue et de sa littérature. Le parti clérical et les féodaux maudissent aussi le dualisme, parce qu’il donne la prééminence aux Hongrois, fortement imbus, même dans l’aristocratie, d’idées libérales et démocratiques. Tous enfin s’accordent pour soutenir que le reichsrath est une institution illégale, sans racines historiques, car elle doit représenter un ensemble de pays sans existence juridique, sans passé, sans nom même, puisque, faute de mieux, on est réduit à l’appeler