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rivalités séculaires comme celle qui existe entre Magyars et Allemands. Elle se méfiera des influences de toute nature qu’on pourrait mettre en œuvre pour séduire ses délégués, influences de cour, d’argent ou de places ; elle sera prête à condamner tout entraînement, même le plus patriotique ; elle se hérissera de susceptibilités nationales et se barricadera derrière ses privilèges : il n’y a pas jusqu’à la question de la langue à employer qui ne puisse donner matière à de sérieuses difficultés[1]

Le lien qui réunit les états de la confédération du nord de l’Allemagne est bien plus intime et surtout beaucoup mieux constitué que celui qui attache la Hongrie à l’Autriche. Comme nous l’avons indiqué, et comme M. Bancroft, l’illustre historien américain, l’a constaté, les principes qui servent de base à cette confédération ont été empruntés en grande partie à la constitution des États-Unis. Pour régler les intérêts communs, il y a délibération commune, et la décision prise lie tous les états confédérés. La Bavière, le Wurtemberg et Bade ont compris qu’il fallait maintenir l’union douanière avec le nord, et ils ont sagement admis que les lois douanières seraient votées par un parlement unique, aux résolutions duquel ils ne pourraient pas opposer leur veto. Tant que le veto est conservé, il n’y a pas d’union véritable, et le lien qui portera ce nom ne sera qu’une cause d’antagonisme, de déchirement, d’incurable faiblesse. Or les deux moitiés de l’empire-royaume Autriche-Hongrie ont conservé chacune ce veto pour presque toutes les matières, et pour les affaires dites communes le résultat est à peu près le

  1. Les délégués hongrois ont eu parfaitement conscience de la méfiance qu’ils pourraient inspirera leurs compatriotes, s’ils n’agissaient point avec une extrême prudence. A leur arrivée à Vienne, les délégués autrichiens ont voulu leur offrir un banquet. Ils ont cru devoir le refuser, non par manque de courtoisie, ils l’ont bien prouvé, mais parce qu’ils craignaient, et avec raison, je pense, de faire croire à la Hongrie qu’ils se laisseraient gagner par les gracieusetés des Allemands. Dans la délégation transleithanienne, on discute naturellement en hongrois ; mais comment feront MM. de Beust et Becke, qui ne connaissent pas cette langue difficile ? Quand M. Becke a déposé le budget, il a prononcé trois mots hongrois qui ont été accueillis par le cri d’eljen (vivat). M. de Beust pourra parler allemand, mais il ne comprendra pas ce qu’on lui répondra. Quand il se fait représenter par des commissaires, toute influence personnelle disparaît, et ces commissaires peuvent commettre des fautes, des maladresses extrêmement regrettables, comme on l’a vu ces jours derniers à propos de la question militaire. Les délégués hongrois savent parfaitement l’allemand, mieux même que le magyar, dit-on, et certes ils n’obligeraient point, par une puérilité de mauvais goût, leur interlocuteur à parler leur propre langue, si toute une question de principe n’était ici enjeu. Il s’agit de la parité des droits : le hongrois ne doit pas céder devant l’allemand, et si les délégués magyars consentaient à délibérer en allemand, ils seraient perdus aux yeux de leurs électeurs, qui les considéreraient comme ayant trahi la cause de leur glorieuse nationalité. Cet exemple suffit pour montrer la situation extraordinairement délicate où se trouvent placées les délégations.