Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/578

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des corps d’hommes et même dans des corps d’animaux jusqu’à ce qu’elles soient parvenues à la foi des purs, et qu’elles aient reçu la consolation des mains d’un parfait. Tuer un homme ou un animal, c’était donc s’exposer à replonger une âme dans l’enfer terrestre. De là l’engagement de l’initié à ne manger jamais de ce qui a eu vie et à ne tuer ni homme ni animal. Ce trait de la morale parfaite, connu des soldats de Simon de Montfort, leur avait fait imaginer un singulier moyen pour reconnaître un consolé : ils présentaient au suspect, dit Etienne de Belleville, une poule à saigner, et s’il refusait d’accomplir cette opération culinaire, c’est lui-même qui était massacré sans autre forme de procès ; mais à un pur il importait peu d’être tué, il aspirait à la mort comme l’homme ordinaire aspire à la vie. Prenant à la lettre l’exclamation de saint Paul : « Malheureux que je suis ! qui me délivrera de ce corps de mort ? » il allait au-devant de cette délivrance, la hâtait par ses abstinences meurtrières et en certains cas par le suicide. Les archives de l’inquisition dans le midi, recueillies par Doat en 1669[1], nous fournissent de nombreux exemples de parfaits et de parfaites qui ont mis fin volontairement à leur vie soit par le poison, soit en s’enfonçant dans la poitrine un petit fer pointu, une espèce d’alène qu’ils portaient toujours sous leur vêtement pour le cas où ils tomberaient entre les mains de l’inquisiteur. Quand ce moyen leur manquait, ils se soumettaient au régime terrible de l’endura, qui consistait à se laisser mourir de faim dans la prison. Le greffier du sanglant tribunal cité par Doat rapporte qu’une femme nommée Montolina se laissa ainsi mourir d’inanition devant les mets succulens qu’on lui présentait.

Pour des hommes qui voyaient le salut de leur âme dans la dissolution du corps, le jour de la mort était un jour de fête. Ils y couraient avec un visage rayonnant, en chantant des cantiques et s’écriant avec l’apôtre Paul : « O mort, où est ton aiguillon ? ô sépulcre, où est ta victoire ? » Le martyrologe des premiers siècles n’a rien qui surpasse le courage des cathares. Aucun de ceux qui avaient reçu le consolamentum n’a renié sa foi. Les agens du pape connaissaient bien cette fermeté inébranlable. Quatre cents consolés ayant été pris par l’armée croisée au château de la Minerve, en Languedoc, le légat promit la vie sauve à tous ceux qui rentreraient dans l’église. Cette condition parut un excès de clémence aux chevaliers français, qui déclarèrent qu’ils n’étaient pas venus dans le midi pour épargner ces hérétiques abominables. « Attendez, dit le légat, ils n’accepteront pas cette condition. » Tous en effet préférèrent

  1. Manuscrit de la Bibliothèque impériale que nous aurons souvent à consulter.