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révocation de l’édit de Nantes, entraîna la population laborieuse du midi, car si les parfaits du catharisme ne travaillaient pas de leurs mains, il n’en fut pas de même de la masse des croyans et des disciples vaudois. Ce ne fut pas uniquement par un sentiment chevaleresque que les barons du midi refusèrent de tirer le glaive de la persécution contre eux, ce fut aussi par un intérêt bien entendu. Actifs et économes par zèle religieux, les sectaires s’étaient emparés de l’industrie des laines et des soies, déjà florissante à cette époque dans le midi ; ils avaient fondé en plusieurs villes des fabriques de tissage dont tous les ouvriers étaient engagés dans le mouvement religieux, et qui étaient autant de centres de propagande. De là le nom de tixerands donné aux hérétiques du midi et des Flandres, dont la signification primitive a embarrassé beaucoup d’historiens. L’hérésie s’était confondue avec l’industrie du tissage, et il suffisait aux yeux de l’inquisition d’exercer l’une pour être accusé d’appartenir à l’autre. Dans tous les autres travaux, les croyans se distinguaient par leur activité. Ils travaillaient et amassaient sous une impulsion religieuse pour avoir de quoi fournir à l’entretien de leurs apôtres et de leurs œuvres de bienfaisance, car le catharisme a voulu imiter aussi l’église dominante par ses établissemens de charité, ses hôpitaux et même par ses couvens. Les manuscrits de Doat citent plusieurs maisons de parfaits et de parfaites vivant en communauté, non-seulement dans le célibat comme les moines et les sœurs orthodoxes, mais encore dans une abstinence et une chasteté absolues. Le moine Pierre de Vaux-Cernay s’indigne de ce que ces établissemens hérétiques sont plus riches que ceux du catholicisme. La classe nombreuse des croyans fournissait libéralement par son travail à toutes ces œuvres, et on comprend que les nobles méridionaux aient hésité à proscrire des gens qui enrichissaient le pays par leur travail. L’église et la monarchie ne furent pas retenues par ces considérations. En frappant les sectes, elles frappèrent du même coup l’industrie et l’agriculture, et arrêtèrent le mouvement qui avait élevé la civilisation de la langue d’oc bien au-dessus de celle de la langue d’oil.

Dans leur fuite, les proscrits gagnèrent principalement la région des Alpes, qui leur offrait des retraites encore peu connues au moyen âge, où ils pouvaient disparaître aux regards de l’inquisition, où du moins ils ne pouvaient être poursuivis par de grandes masses armées, comme dans les pays de plaines. Ils y arrivent non-seulement du côté du couchant, de la Provence et du Dauphiné, mais encore de la Lombardie, qui ne tarda pas à devenir le théâtre d’une persécution semblable à celle que subit le midi de la France. Ces seigneurs gibelins qui avaient accueilli les premiers proscrits devinrent dans la seconde moitié du XIIIe siècle le point de mire des