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de se concerter avec Blaise de Montréal, nommé en la même qualité en Dauphiné et dans les états du roi de France, pour diriger contre la région supérieure une attaque générale combinée des deux côtés à la fois. Les deux inquisiteurs feront prêcher « la sainte croisade, » et il leur indique les motifs qu’ils pourront faire valoir, s’ils le jugent opportun, pour engager les fidèles à y prendre part. Comme dans les lettres d’Innocent III, nous retrouvons dans la bulle d’Innocent VIII, à côté des récompenses spirituelles accordées aux croisés, la promesse étrange des récompenses temporelles, le droit de s’emparer des biens meubles et immeubles des hérétiques. La bulle se termine par la menace accoutumée de déposition à l’adresse des princes et des magistrats qui n’obéiront pas aux ordres des deux inquisiteurs.

La région menacée était alors partagée entre trois souverains, le duc de Savoie et le marquis de Saluces du côté italien, le roi de France sur l’autre versant. Ils ne s’opposèrent pas à cette prise d’armes, mais aucun d’eux n’y intervint directement. L’armée rassemblée en Dauphiné sous les ordres d’un seigneur savoyard, le comte Varax de la Palud, entra en campagne avant celle du versant italien, et pénétra sans résistance jusque dans la gorge de la Vallouise, au pied du mont Pelvoux, d’où était sorti au XIIe siècle le premier prophète vaudois. L’attitude de la population devant l’ennemi montre qu’elle n’avait pas encore abandonné la morale albigeoise, qui défendait de tuer son semblable. Elle fuit partout sans combattre, elle gagne les hauteurs et se cache dans les cavernes. Dans la Vallouise, la population se réfugia sur le Pelvoux. A mi-hauteur de cette montagne, appelée le Viso du Briançonnais, est creusée une caverne qui s’ouvre par un couloir étroit conduisant à une excavation immense d’où jaillit une source qui l’a fait nommer la grotte d’Aigue-Fraide. Au-devant est une plate-forme qui s’avance sur une saillie de la montagne, d’où la vue embrasse tout le système compliqué des vallées qui versent leurs eaux dans la Durance. Désespérant d’atteindre ce refuge par une ascension directe, Varax fit escalader la montagne d’un autre côté par une troupe de hardis montagnards qui vinrent retomber sur la plate-forme à l’entrée de la caverne. Saisis d’épouvante à la vue de ces hommes qui semblent tomber du ciel, et paralysés peut-être par le principe de morale que nous avons rappelé, les vaudois s’entassent dans la grotte au lieu de se défendre. Les soldats élevèrent alors à l’entrée une pile de bois vert et y mirent le feu. Chassés de l’intérieur par la fumée qui les étouffe, les malheureux s’élancent vers l’étroite entrée, où ils périssent jusqu’au dernier par le feu ou par l’épée. On trouva dans la grotte quatre cents cadavres.

Les choses se passèrent différemment sur le versant italien. La